L'Atelier de JP

Leica III f, un peu d’histoire …

Bon, je résume la légende : en 1913, Oskar Barnak (1879 – 1936), ingénieur chez Leitz et photographe, eut l’excellente idée d’adapter le film utilisé par le cinéma pour la photographie. Ce film, qui défilait verticalement, il le mit à l’horizontale et il définit le format 24×36 que nous connaissons aujourd’hui.

Ce génial inventeur souffrait d’asthme et il rêvait d’appareil portable car, à l’époque, les chambres étaient reines. Ces engins, fabriqués en bois et nécessitant l’utilisation d’un trépied, étaient lourds, encombrants et malcommodes.

Il eut donc une seconde idée géniale, celle de concevoir un appareil tout petit, éminemment portable et utilisant la nouvelle pellicule en 24×36. Il créa ainsi le premier Leica, appelé Ur-Leica. Il n’y en eut que 3, qui servaient à son usage personnel et celui de Ernst Leitz (le patron de l’entreprise où il travaillait, rappelez-vous) et au développement de son idée de « petit film » facile à charger et à développer, ainsi qu’au développement d’objectif pour cet appareil (ben oui, Leitz était une fabrique d’optique tout de même).

La facilité de chargement était aussi un argument important. A l’époque, les Brownie de Kodak nécessitaient d’être renvoyé en usine pour charger/décharger les films qu’ils contenaient. Avec la cartouche contenant le film, inventé par Barnack, le photographe s’affranchissait de cette étape. Il pouvait charger ses pellicules lui-même (au mètre), ou acheter des cartouches toutes faites, les mettre dans son appareil et les retirer une fois le film exposé, sans intermédiaire.

Quand j’écris que c’était plus facile … vous prenez la cartouche à droite, vous tirez environ 10 cm de film, vous recoupez la bande amorce comme indiqué sur le dessin, vous glissez la languette dans la fente de la bobine réceptrice (à gauche), vous réintroduisez simultanément les deux dans l’appareil, en faisant glisser le film dans la fente en bas de l’image, vous « clipsez » la bobine et la cartouche, armez une fois pour vérifier que le film est bien inséré (le bouton de rembobinage doit tourner), refermez la plaquette et sa clé de sécurité, armez encore 2 fois pour être certain, remettez le compteur de vue à zéro, et c’est parti … en fait, avec un peu d’habitude, c’est assez rapide… bien plus que les semaine d’attente pour que votre Brownie ne revienne de chez Kodak

Bref, il fallut encore attendre 10 ans avant de voir cet appareil commercialisé, la guerre de 14-18 était entretemps passée par là.

Le premier Leica fut le Leica I ou encore appelé Leica A et il sortait en 1925. Oskar Barnak avait eu le temps de perfectionner son premier jet et donc ce Leica I possédait un objectif fixe mais rentrant (gain de place), deux rideaux pour l’obturateur (ce qui permettait d’armer l’appareil sans devoir masquer l’objectif), un compteur de vue manuel et un viseur (pas encore télémétrique).

Evidemment, après le Leica I vint le Leica II. Nous sommes en 1932 et cet appareil contient tout ce qui fera la réputation et les « standards » de l’appareil dit télémétrique. En effet, c’est cet appareil qui introduit le principe du télémètre couplé et les objectifs interchangeables au pas de vis 39, notamment.

Ensuite, en 1933, Leitz présenta le nouveau Leica, le Leica III. Si la forme restait la même, le télémètre avait encore évolué, on pouvait dorénavant porter le Leica avec des lanières (introduction des œillets de portage), le viseur était équipé d’une correction dioptrique. Bien sûr cet appareil connu des améliorations mais la silhouette restait la même et ce fut un succès commercial. Les plus grands photographes de reportage ont utilisés cette fabuleuse machine.

La photo appelée « mort d’un milicien » de Robert Capa (1936), la photo « Le drapeau rouge sur le Reichstag » d’Evgueni Khaldei (1945) – à ce sujet, la photo fut bien prise avec un vrai Leica et non une copie russe ! , « Supports de générateurs hydroélectriques, chez Siemens-Schuckert », de Paul Wolff (1936), les photos de la guerre d’Espagne de Greta Taro (compagne de Robert Capa), les premières photos d’Henri Cartier-Breson (1930), les photos d’Elliott Erwitt dont la célèbre North Carolina-USA (montrant la ségrégation raciale aux USA), David Douglas Duncan, célèbre photographe de guerre américain, …. et tant d’autres ont démontré que cet appareil était, à l’époque, une des meilleurs au monde et surtout le plus passe-partout et solide, quelque soit le terrain des opérations.

Le Leica IIIf fut le dernier représentant des Leica à vis (objectifs à viser) … depuis 15 ans, un nouvel appareil était en gestation …

1954 créa une rupture et ouvrait une nouvelle légende : le Leica M3 apparut sur le marché … mais c’est une autre histoire que je vous raconterai quand je vous présenterai l’appareil.

Heu… pour être tout à fait complet, le système à vis eut un dernier sursaut, le Leica IIIg, produit après la sortie du M3, mais seulement quelques années, de 1957 à 1960. Etait ce pour satisfaire les irréductibles fervents du Leica de la (première) légende ?

Le Leica IIIf qui nous préoccupe fut produit de 1950 à 1957. D’abord présenté sans retardateur (comme le mien, qui date de 1951), il intégra ensuite cet accessoire.

Personnellement, je trouve que c’est un très bel appareil, qui fait la synthèse entre les plus anciens et qui propose déjà des solutions plus modernes, comme les deux viseurs très rapprochés, qui évitent – presque – la gymnastique d’aller de l’un à l’autre

Il délivre des images de très haute qualité provenant d’un appareil photo petit et léger. Heu, ça dépend quand même aussi des optiques montées dessus: pour ma part, j’ai installé un Jupiter 3 de 1955 (élaboration russe à partir de la formule optique d’un Sonnar Zeiss 50mm f1:1,5) . De nos jours, le Leica IIIf est l’un des moyens les moins coûteux d’accéder au système Leica. Et, surtout, il a l’air si décalé et si ancien que personne ne vous en voudra d’être pris en photo avec ça !

Par contre, l’action, la prise de vue rapide, c’est pas sa tasse de thé – en tout cas pour nous qui redécouvrons cet appareil qui fut quand même de reportage (voir paragraphe ci plus haut). Le Leica IIIf se règle avant la prise de vue : il faut armer l’appareil, vérifier avec une cellule à main (ou la règle du « sunny 16 ») l’ouverture, régler la vitesse en fonction, cadrer, vérifier avec le télémètre, recadrer et … déclencher ! Ouf … Quoique cela puisse être, finalement, un avantage : vous pensez à la photo que vous allez saisir, vous réfléchissez aux réglages pour lesquels vous optez, vous examinez votre cadre avant de déclencher … Toute une philosophie en somme … Quoique les photographes de reportage de l’époque s’en accommodaient fort bien, question de pratique.

De fait, il est vraiment petit, surtout avec un objectif rentrant (comme le Zorki 1c que je vous ai présenté il y a peu). Il est en tout cas moins grand que le M3 qui lui succède. Il est léger : tout nu, il pèse 432gr (contre 592 pour le M3) et avec un Jupiter 3, il fait 582 gr sur la balance. Enfin, il est silencieux, juste un clic un peu sourd.

Comparaison de tailles : derrière à gauche, le Leica M3 et à son côté, le Leica M5; devant, le Zorki Ic et le Leica IIIf

Une bien belle machine à faire des photos et à rêver …

Ceci étant, la qualité de fabrication, qui est bien réelle, à son revers : à moins d’être un excellent bricoleur, patient, méticuleux, il est difficile de démonter un Leica IIIf, ne fut-ce que pour nettoyer le télémètre qui, avec les années, peut devenir un peu moins lumineux. Vous verrez quelques tutos à ce sujet sur la grand toile. Par comparaison, démonter un Zorki Ic est (presque) un jeu d’enfant et bien plus facile. Et pourtant, le Zorki Ic ne démérite pas au niveau qualité de fabrication. Pour la petite histoire, le SAV de Leica peut encore vous assurer l’entretien et quelques réparations sur ces vieux appareils. Costaud je vous disais …

Comparatif entre le Zorki Ic (à gauche) et le Leica III f (à droite)

Je vais attendre un peu avant de vous présenter les sensations de prise de vue et les photos captées avec cet appareil, les circonstances actuelles (confinement) ne me permettent pas de déposer le film dans mon labo habituel ni de sortir bien loin.

Comme souvent, je vous mets en lien quelques sites de références : https://www.kenrockwell.com/leica/screw-mount/iiif.htm en anglais et http://www.summilux.net/avis/LeicaIIIf.html , http://www.vieilalbum.com/Archiv04FR.htm. en français

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