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Alpa SI 3000

Et si je vous disais que même les Suisses ont créé et fabriqué des appareils photos, vous seriez surpris ? Nous connaissons ce pays pour sa qualité horlogère, son fromage, sa fondue, ses montages, ses abris anti-atomiques mais pas forcément pour ses appareils photos.

Eh bien, en 1918, la société Pignon Sa vit le jour dans le Jura suisse, non loin de la frontière française, dans un des berceaux de l’excellence horlogère. La société fabriquait alors des pièces pour l’industrie de précision, dont les montres.

Toutefois, les fluctuations dans ces domaines ont poussé l’entreprise à se diversifier, tout en restant dans un domaine où la précision et la méticulosité seraient de mise : la fabrication d’appareils photos répondaient à ces exigences.

En 1933 donc, la SA Pignon prend contact avec le concepteur Jacque Bolsky (aussi appelé Boolsky ou Bolsey bien que né Bogopolsky en Ukraine). Ce brave monsieur avait d’abord créé une caméra 35mm (Cinématographe Bol) puis une 16mm, la Bolex, qui fut une référence dans le monde des caméras en 8 et 16mm. Pour la commercialiser, il avait fondé la SA Bol, qui fut reprise dès 1930 par la SA Pignon. Celle-ci commercialisa quelques Bolex et nomma Bolsky ingénieur consultant au nouveau département Cine-Bolex.

Las, dix ans plus tard, le sieur Bolsky quitte l’Europe pour les Usa (mais c’est une autre histoire) et il laisse le développement des précurseurs de l’Alpa aux mains de la SA Pignon. Mais l’entreprise a pu saisir la chance de l’impulsion donnée, à savoir l’expansion de la société dans la fabrication d’appareils photographiques. C’est ainsi que jusque dans les années quarante des prototypes et des caméras expérimentales ont été développées (souvent des spécimens uniques, quelques séries limitées sous les noms de Bolca, Teleflex, Viteflex p. ex.). Ces « essais » ont été déterminant pour le développement ultérieurs de la gamme Alpa.

C’est en pleine guerre, en 1942, que la SA Pignon produit la première série de son Alpa Reflex et l’Alpa Standard (un télémétrique à objectifs interchangeables construit à 466 exemplaires).

En 1944, à l’exposition printanière de Bâle, la Mustermesse, l’entreprise présente enfin l’Alpa Reflex à un large public. L’Alpa entrait d’un seul coup dans le monde exclusifs des appareils haut de gamme, sa qualité de fabrication était exemplaire.

Puis en 1949, l’entreprise présente un des tout premiers reflex mono objectif avec pentaprisme, l’Alpa Prisma Reflex. Ce dispositif à prisme de toit, grâce au croisement des rayons réfléchis intérieurement, donne une image droite et correcte latéralement, alors qu’auparavant, il fallait redresser et remettre « dans le bon sens » les images vues dans les viseurs (p. ex. les Ihagee et les Exakta). Il faut savoir que dans un « toit » de réflex, il y a deux types de construction : le pentamiroir, qui est un assemblage de miroirs collés et le pentaprisme, qui est un verre taillé, beaucoup plus cher et compliqué à fabriquer.

source : https://www.autrefoislaphoto.com/musee/appareils-photographiques/film-35/alpa-alpa-prisma-reflex

Petite particularité, l’entreprise n’a jamais fabriqué d’optiques pour ses appareils, mais elle s’est adressée aux plus grands de l’époque pour la fournir : Angénieux, Asahi, Berthiot, Chinon, Enna, Kilfitt, Kinoptik, Schneider, Yashica, Zoomar, etc.

1952 a été l’année de présentation de la seconde génération des Alpa, conçue cette fois pas André Cornut, avec des innovations importantes : le corps n’est plus en tôles d’acier mais en alliage moulé sous pression et introduction d’une monture à baïonnette Alpa.

En 1958, ce sont les modèles b avec un miroir à retour rapide et le levier d’avance de film ALPA typique qui ont fait leur première apparition. Ce dernier devait être utilisé de l’avant vers l’arrière plutôt que dans le mode plus courant de l’arrière vers l’avant. Cet agencement inhabituel a simplifié la construction et a permis à l’utilisateur de garder son œil près de l’oculaire de la caméra tout en actionnant le levier. Notons que l’Exakta Varex IIa proposait la même chose, mais à gauche du pentaprisme.

source : http://waywiser.fas.harvard.edu/objects/20185/alpa-reflex-35mm-bmodel-camera;jsessionid=831B2E48F85F40C46EBEAF4205E47AA4

Les modèles évoluent au fur et à mesure pour qu’en 1964, avec le modèle 9d, ALPA réalise un coup de maître technique : l’un des premiers appareils photo avec un posemètre TTL (à travers l’objectif).

source : http://camera-wiki.org/wiki/Alpa_Reflex_9d

Il reste un bout de polémique à ce sujet, Asahi Pentax a inventé en 1960 le concept TTL, c-à-d. la mesure de l’exposition à travers l’objectif, et le présente à la Photokina cette même année. Il implante cette technologie dès 1964 dans le Spotmatic. En 1971, Asahi installe dans le Asahi Pentax ES, la toute première mesure automatique de l’exposition TTL. Rendons à César …

Puis, en 1968, la troisième génération ALPA dispose d’un posemètre couplé.

Ensuite, en 1970, le contrôle d’exposition notifié par une aiguille est remplacé à partir du modèle 11e par des LED (diodes électroluminescentes).

source : https://www.invaluable.com/auction-lot/alpa-reflex-11e-55-c-1abdc44346

Toujours dans leur « monde à part », la SA Pignon comptait plus ou moins 70 personnes et produisait environ 200 appareils par mois … mais il faut savoir que chaque appareil était toujours fabriqué à la main par des artisans ultra qualifiés

Cette année-là, Pignons SA a finalement abandonné son activité d’origine de fourniture de pièces à l’industrie horlogère.

hmm… vous me direz, les goûts et les couleurs … mais petits exemples d’appareils produits autour de 1970

Dans l’ordre, en haut à gauche, le Canon FTB, le Nikon F, le Minolta SRT 101, le Yashica TL Electro X, le Pentax Spotmatic.

Personnellement, je trouve que les boitiers Alpa ne sont pas « modernes » au sens où les appareils japonais présentés ici, sortis à peu de chose près en même temps, ont une esthétique très différente, moins « lourde ».

Les années septante verront des améliorations au niveau des posemètres, qui passent des cellules CdS (sulfure de cadmium) aux cellules au silicium (Si).

Mais c’est en 1976, lors de la Photokina de Cologne, que la SA Pignon étonne tout son petit monde en présentant un appareil portant le label Alpa mais fabriqué …. au Japon par Chinon : l’Alpa SI 2000, basé sur le Chinon CE II Memotron avec objectif à vis M42, la monture « universelle » de l’époque.

source : https://vintagecameras.org.uk/alpa-si-2000-camera-with-zoom-lens-rare/

Grandeur et décadence ! D’un appareil tout métal, fabriqué mains, on passait à un appareil fabriqué à la chaine, même s’il restait métallique.

Soyons de bon compte, Chinon était LE spécialiste du « boitier blanc », c.-à-d. fabriqué chez eux mais pour d’autres marques, qui ne faisaient qu’y coller leur logo. Il avait donc l’expertise et de plus, le cahier des charges était toujours signé Alpa.

Sans doute la marque voyait elle là une façon de jouer sur sa réputation et augmenter ses chiffres de vente. Ils ont réitéré la chose en 1980 en sortant l’appareil qui nous préoccupe aujourd’hui, l’Alpa SI 3000.

Toujours construit sur base d’un Chinon, ici le Chinon CE-4, cet appareil fut néanmoins le champ du cygne de la firme

En 1990, une procédure de mise en faillite était prononcée à l’encontre de la SA Pignon. Cependant;, en 1996, le nom Alpa renaît avec de nouveaux propriétaires. Alpa est désormais une marque déposée de Capaul & Weber, Zurich, Suisse, qui fabrique des moyens formats d’exception.

Voilà, ce fut un peu long mais l’histoire de cette marque est, je trouve, assez extraordinaire et méritait d’être contée, pour mieux comprendre le désamour envers cet appareil par les aficionados des premières heures de la marque.

Car il n’est pas mauvais du tout cet appareil. Contrairement à son ainé, le SI 2000, il opte pour la célèbre monture K, assez universelle et plus moderne. Elle ouvre l’appareil à un parc optique très large.

Ensuite, le Chinon CE-4, qui lui sert de base, est un bon appareil, jugez plutôt :

C’est un appareil automatique à priorité ouverture. Une fois le mode activé en mettant la molette sur P, vous choisissez votre diaphragme et l’appareil photo vous donnera une vitesse d’obturation adaptée pour que vous ayez une exposition correcte. L’affichage à diodes dans le viseur précise simultanément la vitesse réelle et propose la vitesse préconisée par la cellule. Celle-ci clignote tant que les deux points ne sont pas convergents et l’exposition correcte.

Ses point forts sont son obturateur Seiko au 1/1000s, une plage de sensibilité correcte avec compensation de l’exposition et la mise en mémoire. Il a aussi quelques points faibles, comme l’absence de blocage du miroir ou de contrôle de l’ouverture dans le viseur.

Alors, il y a un jeux que j’aime bien, celui des 10 erreurs … donc petit comparatif entre un Chinon CE-4 et l’Alpa

Vous constaterez que les différences sont avant tout cosmétiques :

Quant à la mécanique interne, elle est identique, mais ça ne se voit pas !

Ceci étant, son ergonomie est plus que correcte et on l’a vite « en mains » car il est facile à comprendre et à utiliser. Et pour ceux qui apprécient les multi expositions, le petit levier devant celui d’armement permet de les réaliser tout simplement. Autre petite astuce, si vous n’avez pas utilisé l’appareil depuis un moment et que vous doutez de l’état de la batterie : vous mettez sur Auto, armez et gardez le levier en extension en appuyant à mi-course sur le déclencheur : une petite diode rouge s’allume si la batterie est toujours ok. Toujours à propose de la pile, il y a une position OFF pour éviter une décharge trop rapide.

Pour ceux qui auraient encore quelques doutes, le mode d’emploi est ICI

Franchement, c’est un boitier sympathique, guère plus gros que le Pentax ME ou ME Super, qui donne envie de le sortir. Et son objectif de base, un très beau 50mm ouvrant à f1,7 est loin d’être ridicule.

Reste sa cotre actuelle, autour des 250€. Est-elle justifiée ? Si vous voulez avoir un pan d’histoire peu ordinaire de la photo en main, à coût « raisonnable », pourquoi pas. Si vous n’avez pas l’âme nostalgique, les concurrents que j’ai cités feront parfaitement l’affaire, pour un prix plus « réaliste » ou alors vous négociez avec le vendeur avec les arguments que vous aurez piochés dans cet article.

Si vous avez l’occasion d’en essayer un, ne vous privez pas …

Quelques références peut-être utiles : https://www.flickr.com/photos/siimvahur/15022398270/, http://camera-wiki.org/wiki/Alpa, https://enacademic.com/dic.nsf/enwiki/1717723/Alpa, https://highcurrenttransformer.blogspot.com/2009/01/alpa.html, http://www.hans.bissem.de/meine-hobbies/fotografieren/history.html en anglais, http://www.collection-appareils.fr/x/html/appareil-3244-Alpa_Si%203000.html, http://www.collection-appareils.fr/x/html/appareil-3393-Chinon_CE-4.html, http://www.dmin-dmax.fr/texteAlpa/alpa.htm en français

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