Un reflex atypique : le Zeiss Ikon Contaflex

Préambule.

Celui-là, ça fait un moment que je l’ai acheté, je l’avais presque oublié. Quelle erreur car ce reflex est riche d’histoire, de celle qui fait avancer – ou pas – la technologie photographique.

Mais ne brûlons pas les étapes, commençons comme d’habitude par un peu d’histoire tout court …

Et ceux qui suivent le site se souviendront sans doute que j’ai déjà commis un article sur un Zeiss Ikon Contaflex Super, nous ne serons donc pas tout à fait en terrain vierge.

Un peu d’histoire.

Nous sommes aux débuts des années cinquante. A cette époque, les (presque) seuls réflex existant étaient des bis-objectifs (TLR), comme les Rolleiflex (pour rester en Allemagne).

Pourtant un vent nouveau commence à souffler et un autre reflex va voir le jour, avec des avantages indéniables par rapport aux doubles objectifs cités : ici le photographe voit directement le sujet à travers le viseur, il n’y a qu’un objectif (donc moins cher à construire) et c’est à travers cet objectif que sera prise la photo.

Pour mémoire, depuis 1947, le Hongrois Gamma Duflex était un réflex avec objectif interchangeable et avec miroir à retour instantané. Auparavant, les miroirs étaient asservis au déclencheur et ils restaient en position haute jusqu’au nouvel armement. Cet appareil utilisait un viseur comme sur les télémétriques.

Un appareil photo reflex Gamma Duflex vintage avec un design métallique et noir, présentant un objectif rond en avant.

Surtout, les reflex de l’époque étaient dépourvus de prisme pour la visée, celle-ci s’effectuant en levant le capot sous lequel reposait un dépoli pour viser son sujet.

Comme pour les Exakta de Ihagee.

Appareil photo reflex Exakta avec un design vintage, affichant un boîtier métallique et un objectif fixe. Le viseur est situé sur le dessus, et il y a des commandes visibles sur le dessus et les côtés de l'appareil.

Il faut attendra 1948 et le Rectaflex Italien pour voir apparaître le premier pentaprisme. Si avec la visée à hauteur de poitrine il fallait redresser l’image inversée gauche/droite et haut/bas, ici le pentaprisme a inversé l’image du viseur, ou autrement dit, a remis l’image à l’endroit. Cela a donc constitué un grand pas en avant, facilitant un cadrage beaucoup plus intuitif. Les objets qui se trouvaient à droite étaient également à droite dans le viseur.

Appareil photo Rectaflex noir et argent, à objectif interchangeable, présenté de face, avec un objectif visible au centre et des détails texturés sur le boîtier.

Petit aparté utile : un pentaprisme est en fait un morceau de verre à huit côtés, où seulement cinq de ces côtés sont réellement utilisé. Les deux côtés sont argentés et redirigent et reflètent la lumière du miroir. Les deux autres côtés laissent entrer et sortir la lumière. Le cinquième côté n’est pas utilisé optiquement mais est mis à plat pour la compacité.

Représentation graphique d'un solide en 3D avec des lignes de force indiquant la direction du mouvement ou de l'application de la force.
Tracé d’un rayon et formation d’une image par un pentaprisme-toit comme utilisé dans un appareil photo de type Reflex. Une des faces est séparée en deux avec pour effet d’échanger la gauche et la droite, ce qui compense le retournement de l’image dû à l’objectif

On considère généralement que 1949 a été l’année où le pentaprisme a commencé à être adopté par plusieurs fabricants, qui l’ont utilisé pour offrir la vision du niveau des yeux, et non plus de la taille, qui est devenue monnaie courante. Le Contax est-allemand de Zeiss Ikon, était le deuxième appareil photo équipé d’un pentaprisme, suivi du Praktica est-allemand.

C’est en 1950 que Ihagee lance l’Exakta Varex, qui sera le premier boitier SLR (single lens reflex ou reflex à objectif unique) à avoir des viseurs interchangeables, des écrans de mise au point, un condensateur (un écran qui a pour but de concentrer la lumière pour rendre la visée plus claire) et une loupe pour améliorer la visée (comme sur les TLR de type Rolleiflex encore une fois).

Les premiers Contaflex (1953)utilisent un obturateur central Compur et un miroir réflex avec un prisme mais avec un objectif fixe, auquel on pouvait ajouter des compléments optiques (Teleskop 1.7×, un téléconvertisseur et le Steritar A , pour photographier en stéréo. Ces compléments nécessitent un support spécial).

Pourquoi ces choix ?

Tout d’abord, il faut se souvenir que Zeiss Ikon, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, avait un besoin urgent de nouveaux appareils. L’usine initiale, à Dresde, avait été presque entièrement détruite lors de la guerre. Ce qui restait est passé à Stuttgart puis en Allemagne de l’Ouest. Bien que ce soit une catastrophe (seuls quelques prototypes avaient pu être sauvés), c’était aussi une formidable opportunité, celle de repartir à zéro, tant pour les machines de production que pour la création de nouveaux appareils.

Ensuite, un obturateur central à lames est peu onéreux, silencieux. Il contribue à la compacité du boitier et il autorise la synchro flash à toutes les vitesses. Et puis, aussi bizarre que cela puisse paraître de nos jours de grand normalisation, Zeiss Ikon considérait que c’était là un défi technique à relever car l’utilisation d’un tel obturateur dans un réflex impose des complications mécaniques lorsqu’il faut armer ce dernier puis renvoyer le miroir une fois que l’obturateur est relâché et le film avancé d’une nouvelle vue.

L’histoire est lancée et la concurrence réagit : trois ans plus tard, (1956), Kodak lance son Retina Reflex, suivi du Voigtländer Bessamatic et de l’Ultramatic.

Ces appareils étaient complexes et ils nécessitaient un assemblage de précision* et des matériaux de haute qualité. Seules quelques marques, allemandes, avaient plaisir à jouer de ces contraintes. Le marché était prêt et les ventes ont progressé pour les meilleurs, les plus fiables.

Toutefois, le choix de Zeiss Ikon d’imposer à ses clients de ne pouvoir utiliser toutes les focales voulues (puisque l’objectif était fixe et seulement accompagné de compléments optiques de 35mm à 115mm – ce que la marque considérait comme suffisant pour le photographe amateur) et que le concept ne permettait pas de pouvoir utiliser un miroir à retour rapide, plus confortable pour la prise de vue, ce choix donc fut fatal au concept.

Pourtant la famille Contaflex a connu des modèles améliorés, ceux avec cellule par exemple ou des gammes de lentilles et dans l’ensemble ces appareils se sont bien vendus … jusqu’à ce que Zeiss Ikon ferme définitivement ses portes.

*Un obturateur dans l’objectif nécessite qu’il reste ouvert avant que la photo ne soit prise, afin de voir à travers le viseur. Dès lors, cela exige un second obturateur derrière le miroir pour rester fermé. Lorsque le déclencheur est enfoncé, une série d’événements doit avoir lieu très rapidement : fermer l’obturateur de l’objectif, réduire l’ouverture de l’objectif à son préréglage, soulever le miroir réflex et ouvrir l’obturateur auxiliaire. Ensuite, l’exposition peut seulement avoir lieu en ouvrant et en fermant l’obturateur de l’objectif. Dans ce cycle, l’obturateur travaille trois fois. Dans les modèles ultérieurs, il devait également s’ouvrir à nouveau à la fin de la séquence pour restaurer l’image du viseur.

Présentation du Zeiss Ikon Contaflex 1.

Le Zeiss Ikon Contaflex ne s’est appelé 1 que lorsque l’année suivante un second boitier fut mis en vente, avec une cellule au sélénium cette fois.

Annonce promotionnelle pour le Zeiss Ikon Contaflex, un appareil photo reflex à objectif fixe avec des spécifications détaillées et un design classique.
Source : mes appareils photo, Photo Expert 1954. Notez que l’on indique viseur-télémètre et télémètre à coïncidence alors qu’il s’agit ici d’une visée à travers un prisme (visée réflex).

Les premiers modèles possédaient un obturateur Synchro-Compur avec l’ancienne échelle de vitesses d’obturation (1-2-5-10-20-50-100-250-500), mais très vite il a adopté la nouvelle échelle 1-2-4-8-15-30-60-125-250-500. L’objectif fixe est toujours resté un Zeiss Opton formule Tessar de 45mm ouvrant à f2,8.

Gros plan d'un appareil photo Zeiss Ikon Contaflex, mettant en avant le logo et les réglages de l'objectif.

Pour rappel, il y a en fait 2 obturateurs, c’est-à-dire 2 dispositifs distincts qui empêchent la lumière de pénétrer dans la chambre : le premier est fixé au miroir, ce qui permet de regarder à travers le viseur sans exposer le film et le second s’ouvre ensuite pour capter la photo. Ce qui explique que lorsque vous avez déclenchez, si vous regardez dans le viseur, tout est noir. Il faudra armer l’obturateur pour voir à nouveau.

C’est un peu perturbant et en tout cas pas rapide lors des prises de vue.

La mise au point se fait avec la bague tout à l’avant de l’objectif, facile à régler avec sa couronne découpée mais sensible aux changements de position quand l’appareil est mis dans un sac.

Une échelle de profondeur de champ est gravée sur l’objectif.

Comme je l’évoquais plus haut, il était possible d’adjoindre des compléments optiques, dont un Teleskop 1,7x qui joue l e rôle de mini-téléobjectif (70% de la focale, soit environ 75mm). Mais il faut acheter un adaptateur (861/07) qui se fixe sur … l’appareil photo, sous l’objectif et se verrouille avec des pattes articulées. Ensuite on peut y fixer le complément Teleskop, sauf si un filtre est déjà en place sur l’objectif fixe.

On a connu plus pratique !

Un second accessoire, le Steritar A, permettait de pratiquer la photographie stéréo. Il utilisait le même adaptateur.

Derrière la bague des distances, la couronne striée permet le réglage des vitesses et, contre le boitier, le réglage des ouvertures.

Le design de l’appareil joue sur une belle symétrie avec les deux grosses molettes sur le capot, qui sont de tailles égales et équilibrent le boitier. Celle de droite est la molette d’armement avec le déclencheur au milieu. Elle possède au centre une couronne striée, qui permet de régler le compteur de vue, que vous devez mettre à zéro à chaque nouveau film. L’autre contient au centre un mémo pour le film utilisé (en DIN) et, lorsque le film est terminé, elle permet le rembobinage. Il faut dans ce cas appuyer sur un petit bouton situé sur la semelle et tourner la molette dans le sens de la flèche.

Pour ôter le film, sur la semelle, il faut tourner les deux clés d’un demi-tour puis faire glisser vers le bas tout le dos. Attention, la bobine réceptrice est amovible, ne la perdez pas.

Illustration montrant un utilisateur manipulant un appareil photo Zeiss Ikon Contaflex, montrant différentes positions et ajustements.

Petite particularité, une cassette pouvait être utilisée pour charge le film, ce qui dispensait de rembobiner à la fin du film, celui-ci étant en fin de prises de vue dans une bobine elle aussi étanche.

Image montrant plusieurs cartouches de film et un système de chargement d'appareil photo, avec des mains manipulant le film.

A l’origine, il n’y a pas de griffe flash sur le boitier mais on peut, en option, en acheter une, à fixer sot même sur le chapeau du prisme. Sinon le flash se portait monté sur une barre attachée par dessous sur le filetage du trépied et on le reliait à l’appareil avec son câble dans la prise PC, sur le côté de la platine d’objectif.

Voilà, nous avons fait le tour de ce beau boitier. Ce dernier sera produit jusqu’en 1959 puis remplacé par le Contaflex Rapid.

Que penser de cet appareil.

C’est un bel appareil, techniquement complexe mais fabriqué avec soin et fait pour durer.

Outre son design, qui a finalement posé les bases de ce que seront ensuite les reflex, il a ces petits détails qui trahissent la volonté de la marque à fabriquer du beau, du bon, du bien pensé : je pense notamment à ces petits pieds fixés à la semelle qui permettent à l’appareil d’être très stable ; ou au bouton de débrayage, joliment affleurant à la semelle ; ou encore la forme spéciale de la couronne des distances, facile à utiliser ; aux points d’ancrage pour une sangle, fixés sur la pan coupé de la carrosserie pour équilibrer le port, par exemple.

Est-ce un appareil encore utilisable ? Parfaitement, même si l’optique est fixe, c’est une focale intéressante pour de nombreuses approches photographiques, et puis, c’est un excellent objectif.

Bien sur il demandera un petit temps d’adaptation mais comme les commandes sont bien placées et simples, vous apprendrez vite. Juste qu’il faut penser à emporter une cellule à main ou a travailler avec la règle du Sunny f16 (d’ailleurs dans le sac tout près de mon exemplaire, il y avait un morceau de carton d’un film qui reprend cette règle bien utile).

La seule chose à vraiment penser pour l’utiliser avec plaisir, c’est une bonne sangle car il fait son petit poids.

Sinon, c’est agréable de l’armer, de déclencher (discret) et de photographier différemment.

Pour un bel exemplaire, avec son sac tout près en bon état, comptez entre 60 et 100€. Un exemplaire muni de ses accessoires et filtres peut grimper jusqu’à 250€.

Et vous, avez-vous déjà eu un exemplaire en mains ? Ou vous vous sentez prêt à faire le pas ?

Videos d’illustration.

Zeiss Ikon Contaflex I (1953) avec Zeiss Tessar 45mm f:2.8 Reflex SLR
Contaflex 35mm SLR Film Camera Body Working Condition | Zeiss Ikon | MINT CAMERA
Remarquez sur cet exemplaire qu’il y a l’accessoire pour fixer les compléments optiques

Un peu de technique.

Pour le mode d’emploi, c’est par LA et admirez en passant les explications utiles que les constructeurs donnaient à l’époque.

  • Appareil à mise au point manuel de 35 mm sorti par Zeiss Ikon en 1953.
  • Objectif non interchangeable, objectif Zeiss Opton de formule Tessar de 45mm ouvrant à f2,8 (4 éléments en 3 groupes); distance de mise au point de 80cm
  • Obturateur central Synchro Compur de 1s au 1/500s + pose B . Synchronisation flash par prise coaxiale sur le coté de la platine d’objectif
  • Poids: 690g

Des références.

https://www.collection-appareils.fr/x/html/appareil-7254-Zeiss%20Ikon_Contaflex%20I.html, https://www.mes-appareils-photos.fr/Zeiss-Ikon-Contaflex.htm, https://www.collection-appareils.fr/x/html/page_standard.php?id_appareil=11474 en français ; https://www.pacificrimcamera.com/pp/zicontaflex1.htm, https://camera-wiki.org/wiki/Contaflex_(SLR), https://en.wikipedia.org/wiki/Contaflex_SLR, https://vintagecameralab.com/zeiss-ikon-contaflex-i/, https://mikeeckman.com/photovintage/vintagecameras/contaflex/index.html, https://cameracollector.net/zeiss-contaflex/, https://cameraww.blogspot.com/2015/04/innovations-in-35mm-slr-camera-design.html en anglais

2 commentaires sur “Un reflex atypique : le Zeiss Ikon Contaflex

  1. Bonjour JP, Incroyable, ma future belle-fille vient de récupérer un CONTAFLEX N°2 (celui qui a la cellule au sélénium, mais sans le cache sur la vitre de la cellule). En plus, il y avait un flash (ampoule magnésium) dans le sac. La cellule réagit bien (Ouf, le sélénium n’est pas épuisé !). Il est dans un parfait état. J’ai été impressionné par la qualité de fabrication. Par contre, c’est un boitier post war-2… Dommage. Et oui, tu as raison, c’est un plaisir de l’avoir en mains. Bien amicalement, Olivier

    • latelierdejp – Passionné de peinture et de photographie, j'essaie de partager mes univers car il n'est rien de plus vain que de garder cela pour soi. L'art est échange, ouverture d'esprit, tolérance, polémique (parfois) mais il suscite toujours le débat et crée du lien. N'ayons pas peur de lui, apprenons à l'apprivoiser et à le transmettre pour nos enfants, aussi.
      latelierdejp

      Bonsoir Olivier, à l’époque ils savaient fabriquer des appareils faits pour durer. Et même si la cellule était hors service, tu peux encore t’en servir sans problème. Bien amicalement

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