Le Kodak Retina IIIc

Celui-là je ne m’attendais pas à le trouver sur une brocante, et pourtant. Mais comme il s’agissait d’un « vide-grenier » professionnel, il m’a fallu négocier ferme pour l’emporter à un prix déjà bien plus raisonnable.

Je l’ai examiné sous toutes les coutures et relevé chaque détails qui allaient me permettre d’argumenter.

Mais il y en avait somme toute pas tant que ça. De plus, en « bon professionnel » de la brocante, il ne connaissait pas réellement la valeur de ce Kodak. Je m’en tire donc à bon compte pour vous présenter un appareil d’avant la grosse production de masse à laquelle la marque va nous habituer par la suite …

Mais commençons par un peu d’histoire pour le situer dans le temps ce Kodak Retina IIIc.

Celle-ci commence en 1934 et Kodak propose un pliant qui utilise une toute nouvelle cartouche, inventée pour eux de toute manière, celle du 24x36mm.

Source : Wikipedia, le premier Retina de 1934 (il ressemble furieusement au Wellix me semble-t-il)

Pour ceux que la petite histoire ne passionne pas, désolé, mais avec Kodak, on ne peut pas passer à côté.

Je vais essayer d’être bref.

Cet appareil a été imaginé par August Nagel, concepteur prolifique et entrepreneur intelligent qui fut un des fondateurs de Zeiss Ikon lorsqu’il fusionna sa société, Contessa-Nettel AG avec Zeiss et ICA. Nous sommes en 1919.

En 1928, il quitte le groupe pour recréer une société propre, la Nagel Camera Werks AG. Il fabriqua des appareils à plaques de verres, puis à film en feuille à feuille et enfin à film en rouleau, au fil des avancées technologiques.

Finalement, en 1931, il revend sa société à Kodak AG (Allemagne), qui s’appelle alors Kodak AG-Dr. Nagel Werk.

C’est là qu’il développe les pliants de la gamme Retina, conçus pour recevoir la nouvelle cartouche de film Kodak préchargé.

Ce qui était une petite révolution car auparavant, si le film en format 24×36 existait bien, il fallait que le photographe charge lui-même le film, vendu en rouleau, dans les cartouches généralement propriétaires des marques, et tout ça en chambre noire ou dans un sac étanche à la lumière. Ce n’était pas forcément pratique, vous en conviendrez.

Notre bon August Nagel développait, dès le début des années trente, un appareil photo utilisant le format 35mm mais aussi une cartouche préchargée, que l’on pouvait utiliser aussi bien dans un Leica qu’un Contax, les appareils phares de cette génération de « nouveaux » boitiers qui délaissaient le format 127 (créé pour être utilisé dans des appareils plus petits que ceux utilisant le format roi de l’époque, le 120).

Outre la réduction de la taille des films, le fait de les mettre dans une cartouche étanche et préchargée, éliminait le recours au papier pour protéger la surface sensible et augmentait donc le nombre de vues par rouleau.

Et tant qu’à créer des appareils au format réduit, il se devait de les « compacter » au maximum. c’est ainsi qu’il eut recours à la technique du « folding » ou appareil à soufflet. Une fois replié, ceux-ci dont effectivement très compacts et la plupart pouvaient se glisser dans une (grande) poche.

Dès lors, tous les Retina, du milieu des années trente à la fin des années cinquante, étaient des appareils pliant avec un soufflet court, un panneau d’objectif avec l’obturateur monté dessus et un couvercle en métal. Autre particularité, les objectifs se déploient automatiquement lorsqu’on ouvre l’appareil (si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y a un soucis sur l’exemplaire qu’on vous propose – parfois, il suffit d’un rien pour que ça coince mais c’est l’objet d’une discussion pour diminuer le prix, le cas échéant).

Je ne vais pas rentrer dans les détails des appareils d’avant ou d’après guerre (cela intéresse surtout les collectionneurs et je pars du principe que ce qui vous motive, c’est de comprendre comment ces appareils fonctionnent et, pourquoi pas, d’en essayer un).

Juste retenir, semble-t-il (car tous les experts ne sont pas encore d’accord là-dessus !), que les Retina d’avant guerre ont des numéros (Nr.) et ceux d’après guerre se reconnaissent au « Type » dans lequel ils sont classés.

Alors, en gros, il y a les Retina avec juste un viseur ou ceux avec un télémètre qui sont dit « Retina I » et dont la genèse porte de 1934 à 1941.

Ensuite, la seconde guerre ayant tout chamboulé, on retrouvera les Retina dits « II » des années 1945 à 1960 avec là aussi des appareils avec un simple viseur et appelés « III » s’ils ont un télémètre.

-« Ça va, je ne vous ai pas encore perdu ? »

Allez, on reprend : si vous voulez perdre votre latin, sachez qu’il y a aussi des distinctions en fonction des années qui utilisent des objectifs précis : pour les appareils d’avant guerre, Schneider Xenar f:3,5 F=5 cm, Schneider Retina-Xenar f:3,5 F=5 cm, Kodak-Anastigmat f:3,5 F=5 cm, Kodak-Anastigmat Ektar f3,5 F=5 cm avec des obturateurs Compur ou Compur Rapid avant guerre; Schneider Xenon f2,8 F=5 cm, Schneider Retina-Xenon f:2,8 F=5 cm, Schneider Xenon f2 F=5 cm, Schneider Retina-Xenon f:2 F=5 cm et même Kodak-Ektar f:3,5 F=5 cm toujours avec obturateur Compur ou Compur Rapid.

Heu … vous voulez vraiment la liste de ceux d’après guerre ? Alors pour les plus courageux, ils se trouvent ICI.

Petit aparté, en passant : si un vendeur vous déclare, après vous avoir donné le prix du Retina que vous convoitez, qu’il a vérifié sur Internet sa cote, soit vous riez doucement, soit vous lui demandez s’il a bien vérifié si la cote valait pour un (au hasard) Retina III avec un Schneider Retina-Xenon C f:2,0 de 50mm avec obturateur Synchro-Compur ou pour celui que vous avez en mains !

Voilà, voilà … vous en savez assez, je pense, que pour que nous nous plongions dans l’analyse de ce Kodak Retina IIIc.

Ah oui, juste vous signaler qu’il existe encore un Kodak Retina IIIC (lettre majuscule), juste pour compliquer la vie de celui, tout content, qui vient de trouver un IIIc (lettre minuscule).

Alors juste un mot de celui-là : il est le dernier de la gamme, fabriqué en 1959. Il est généralement plus grand que son ainé (bien que basé sur le même boitier), plus complexe aussi, avec un excellent viseur à correction de parallaxe de lignes projetées (comme sur les Leica M3), avec des lignes de cadre intégrées pour une gamme d’objectifs somme toute limitée au 35, 50 et 80mm.

Revenons donc au Retina IIIc qui nous préoccupe donc.

C’est à la Photokina de 1954 qu’il fut présenté au public. Il était alors le plus cher de la gamme des modèles Retina. Il sera fabriqué jusqu’en 1957.

Comparé aux anciens modèles, le Retina Ia et le IIa, il est entièrement repensé et revu : le bloc lentille extensible glisse vers l’avant et devient beaucoup plus rigide. La « porte » qui s’ouvre vers la droite ne joue plus le rôle de support, elle déplace simplement l’ensemble du bloc optique/obturateur vers l’intérieur (quand on le referme) ou vers l’extérieur (quand on l’ouvre). Le déclencheur est maintenant positionné sur le corps de l’appareil.

Ce qui m’a frappé, lorsque j’ai ouvert le « sac tout prêt » de l’exemplaire que je vous présente, ce sont les deux fenêtres en façade, qui m’ont immédiatement fait penser à un appareil avec télémètre.

Ensuite, c’est la drôle de gâchette, située en dessous, qui m’a fait de l’œil.

Enfin, la petite porte, devant, qui m’indiquait qu’il devait y avoir une cellule.

Puis, comme je regardais l’objectif, les noms de Schneider-Kreuznach ont retenu toute mon attention, surtout que l’ouverture de f2 pour le 50mm était prometteur. Il s’agit du Retina-Xenon C.

L’obturateur est un Compur Synchro qui donne les vitesses de 1s à 1/500s plus la pause B.

L’objectif ouvre lui de f2 à f 22, ce qui est confortable.

Mais comment ça marche ?

Généralement, vous le trouverez avec son « sac tout prêt » qui, en principe, garde la lanière de portage. Bien que l’appareil soit pourvu d’œillets. Vous ouvrez la face avant, que vous laisser pendre (ou que vous pouvez ôter en faisant glisser vers le haut le bouton pression).

Pour déployer le bloc objectif/obturateur, vous poussez vers le centre de la porte avant, le drôle de petit bouton métallique qui est au bord.

En s’ouvrant vers la droite, la porte extirpe le bloc objectif/obturateur, qui se bloque en position.

Là, vous découvrez la beauté et la complexité de l’appareil. Le bloc en métal massif comprend :

  • comme déjà précisé, l’objectif
  • autour de lui, l’obturateur
  • le mécanisme pour renvoyer au viseur le mouvement de l’objectif (télémètre couplé)
  • le réglage des vitesses
  • le réglage de l’ouverture
  • le réglage pour la synchro flash (tirette verte en dessous à gauche face à l’objectif)

Au fait, car ce n’est pas évident à voir, sauf à ouvrir le dos de l’appareil, il y a bien un petit soufflet à l’intérieur du bloc qui se déploie.

Notez les ergots rétractables, au dessus et en dessous du bloc : lorsque vous avez remis la bague des distances sur l’infini, vous pourrez appuyer dessus et l’ensemble rentrera dans le boitier. Ne forcez jamais pour refermer l’appareil. Si vous n’avez pas fait tourner le bague des distances sur l’infini, il est impossible de refermer le bloc.

Pour régler la distance, l’objectif possède un ergot en demi lune, strié, qui assure un bonne préhension pour une réglage précis.

Comme le télémètre est couplé (pas comme sur un Franka Solida III par exemple), les mouvements de l’objectif font faire déplacer un patch, que vous devrez faire coïncider avec l’image vue.

Avant de prendre des photos, après voir chargé la cartouche de film, vous devrez régler la sensibilité de ce dernier sur la molette à droite sur le capot de l’appareil. Ce n’est pas le plus facile car il faut faire tourner la couronne des ASA/DIN avec une petite pastille en saillie. Vous aurez le choix entre 10 et 650 Asa. Remarquez les deux signes entourés : le premier représente la fenêtre fermée, le second la cellule découverte.

Notez que sur la molette de l’autre côté, vous avez un pense bête, en Din, de la valeur choisie, et qui n’est pas plus facile à régler (molette interne avec une roue dentée à faire tourner).

L’utilisation de la cellule (non couplée) est assez simple : volet ouvert, appareil dirigé vers le sujet, vous verrez une aiguille noire se déplacer dans le cadre de la cellule. Il faut faire coïncider la flèche rouge avec celle-ci et vous aurez l’indication de l’indice de lumination, que vous retrouverez sur la bague de l’objectif.

Vous pouvez travailler avec la cellule dégagée ou fenêtre fermée, ce qui donne une mesure indirecte. Un peu comme avec une cellule à main somme toute.

Lorsque vous portez votre œil au viseur, vous y découvrez les lignes de cadre pour le 50mm et le patch au milieu.

Ah oui, j’allais oublier : vous pouvez changer les focales de cet appareil, pas en changeant l’objectif entier mais en libérant la lentille frontale (comme sur le Zeiss Ikon Contaflex, par exemple).

Ce qui implique, si vous aviez l’idée saugrenue de vouloir utiliser autre chose que le 50mm, de devoir utiliser un accessoire pour corriger la parallaxe des 35 et 80mm (comme sur les anciens Leica).

Et encore faudrait-il avoir la chance (ce que je vous souhaite) de trouver les dites lentilles.

Vous dégagez la lentille en la faisant tourner dans le sens anti horaire et la remettez en tournant dans l’autre sens.

La cellule, au sélénium, est cachée derrière un volet métallique percé d’un petit trou en son centre. Le posemètre est dit à double plage.

Le compteur de vue, qui s’incrémente d’une photo en moins à la fois, se remet à zéro en appuyant sur le bouton juste derrière lui. Petite bizarrerie, il vous indique le nombre de vues restantes et lorsque vous arrivez à la photo 1, l’armement de l’appareil est impossible. Kodak a prévu cette précaution pour ne pas arracher le film de la bobine semble-t-il (ça vaut bien le double armement du Leica M3 pour les mêmes raisons).

-« Mais comment le compteur sait-il le nombre de photos du film ? »

Hé bien parce que c’est vous qui lui indiquez le chiffre sur lequel il va démarrer. Après avoir chargé votre film, en appuyant alternativement sur le bouton de remise à zéro et en faisant glisser le bouton à l’arrière de l’appareil, vous notez le nombre de départ (pour être plus clair, voyez la video ci-dessous vers 14’50 » ).

Si vous avez terminé le film, pour ouvrir le dos de l’appareil, il faut dégager le verrou, en dessous, après avoir pressé le bouton de rembobinage et rembobiné la pellicule.

Un mot enfin de cette drôle de gâchette, en dessous, qui sert de ré armeur. Ça me fait penser au Ricoh 35 ou à certains accessoires Leica pour ré armer plus vite.

Sur mon exemplaire, elle ne revient pas toujours à sa place initiale, sauf si je déclenche (heureusement). Sans doute un manque de lubrifiant. Sa place est inhabituelle mais on s’y fait. Toutefois, l’actionner avec le sac tout près dans le passage, c’est soit sportif, soit du masochisme.

Voilà, je pense avoir fait le tour du propriétaire.

Que penser de ce Kodak Retina IIIc ?

Il est vachement bien construit, avec du métal partout ou presque. Franchement, nous sommes à des années lumière de ce que Kodak produira en masse plus tard. Cet appareil est fait pour durer pas pour être jeté.

Son télémètre est précis, facile à mettre en oeuvre.

Si l’appareil est compact lorsqu’il est replié, il faut toutefois constater qu’un Leica M3 (sorti en 1954) sera encore plus compact, mais sans cellule.

Esthétiquement, c’est un bel appareil, qui attire l’œil. Si vous en trouvez un, faites vous plaisir mais sachez que son prix peut être conséquent, car il est rare

Après, c’est le plaisir de photographier avec un boitier de qualité, qui sort de l’ordinaire.

Une chouette video (en anglais mais vous pouvez régler la langue de traduction)

Des publicités de l’époque

Source : Collection-appareils, Photo Hall, mai 1957
Source : Collection-appareils, Odéon Photo 1956.

Pour le mode d’emploi, c’est par LA.

Quelques données techniques :

Période de production : mars 1954 à juillet 1957
Production : 160 383+
Plages de numéros de série : 50001 à 199914, 450336 à 460383
Appareil photo 35 mm pliable avec viseur
Objectif fixe : f2 50 mm Schneider Kreuznach Xenon ou f2.0 50 mm Rodenstock Heligon (6 éléments)
Composant avant interchangeable (baïonnette)
Objectifs alternatifs : f4 80 mm, f4 35 mm, f5.6 35 mm
Obturateur : Synchro-Compur (Valeur lumineuse) 1 sec – 1/500
Levier d’armement situé sur la base de la caméra, prévention de la double exposition
Retardateur – Synchronisation Flash X & M
Viseur : Bright Line + Marques de correction de parallaxe

Lecture du compteur d’exposition découplé en valeurs lumineuses (LV) Incident Light Cover
Télémètre couplé – forme losange
Taille du filtre 32 mm

Dimensions : Largeur – 122 mm Hauteur – 85 mm Profondeur – 90 mm (ouvert) 47 mm (fermé)

Quelques références : https://photojottings.com/kodak-retina-iiic-review/, https://camerapedia.fandom.com/wiki/Kodak_Retina_IIIc, https://www.cameraquest.com/ret3c.htm, https://en.wikipedia.org/wiki/Kodak_Retina, https://retinarescue.com/, https://retinarescue.com/retina3cdifferences.html, https://retinarescue.com/retina3ctype021.html en anglais, https://www.collection-appareils.fr/x/html/page_standard.php?id_appareil=2578, https://www.collection-appareils.fr/x/html/page_standard.php?id_appareil=20538, en français.

2 commentaires sur “Le Kodak Retina IIIc

  1. Il me rappelle un peu le Voigtlander Vitessa, autre folding de grande qualité. En tout cas, les fonctionnalités semblent très similaires : Obturateur central, cellule non couplée, télémètre, appareil pliant, couplage obturateur-diaphragme, objectif modulaire.

    Je n’ai jamais eu de Retina entre les mains mais pour le Vitessa, je peux vous assurer que la qualité de fabrication est bien au-delà de ce qui s’est fait par la suite, appareils reflex compris.

    • Hello Nic, tu as raison, ces appareils étaient pensés pour durer, longtemps !
      Presque tous les foldings ont cette configuration, dictée par la place disponible. Ils vont évoluer au fil du temps en ajoutant un télémètre, qui deviendra couplé, une cellule, elle aussi couplée ensuite. Bonjour la complexité de ces mécaniques !
      Moi, ce qui m’étonne toujours, c’est que ces petits bijoux ont continué à être vendus jusqu’au seuil des années soixante alors que les télémétriques prenaient toute la place et que les reflex pointaient le bout de leur pentaprisme, et que les bi-objectifs (style Rolleiflex) avaient encore de beaux jours devant eux.
      Mais c’est agréable de reprendre ces appareils en mains et de sortir prendre quelques clichés en leur compagnie. Bien cordialement.

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