Les cellules indépendantes

C’est suite à l’article consacré aux Zorki 4 et Zorki 4K que je me suis dit qu’un petit article sur les cellules indépendantes (cellule dite « à main » ou posemètre) avait sa pertinence.

Sur des appareils anciens, il n’y a pas de système de mesure intégré. Il faudra attendre la moitié des années soixante pour voir apparaitre des cellules, d’abord au sélénium, puis au CdS , et les années septante pour celle au silicium bleu, embarquées dans l’appareil photo. Ces cellules étaient souvent sur des reflex à l’époque car la miniaturisation de l’électronique n’est pas encore au top et il faut un peu de place pour caser tout ça.

Mais à quoi sert la cellule, le posemètre ?

Rappelez-vous le sacro-saint principe du triangle d’exposition :

ou expliqué différemment :

Illustrons-le par cette petite animation :

Une des caractéristiques de ce triangle est donc la sensibilité du film (exprimée en Iso ou Asa, ou Din, ou Weston, ou Gost, etc.). Pourquoi ?

Si on considère qu’une photographie est correctement exposée lorsque la surface sensible reçoit la bonne quantité de lumière, le photographe doit donc savoir quelle est cette « bonne quantité », c.-à-d. celle qui donnera une image ni trop claire ni trop sombre, toute en nuances.

Pour cela on va considérer la quantité de lumière par « unité de surface », ce que l’on appelle l’exposition lumineuse ou lumination. Celle-ci s’exprime en lux-seconde (lx.s pour le symbole).

Cette lumination va produit un effet sur la surface sensible – capteur (valeur numérique en pixels) ou film argentique (noircissement du négatif) – et on cherchera à connaître la valeur qui est nécessaire pour obtenir cet effet.

La sensibilité sera alors définie comme l’inverse de la lumination. Petite formule pour les matheux : {\displaystyle S={\frac {H_{0}}{H}}}H est la lumination nécessaire pour le résultat recherché, et H0 une constante qui permet de fixer l’échelle de sensibilité.

Si comme moi vous êtes allergique aux formules, que faut-il retenir ? C’est que la sensibilité est inversement proportionnelle à la lumination nécessaire.

-« Heu … ? »

En gros, un film de 200Iso étant deux fois plus sensible qu’un film de 100Iso, il aura besoin de deux fois moins de lumière pour le même résultat.

Cette sensibilité, que l’on appellera aussi « rapidité » déterminera les films « lents » (sensibilité basse) des films « rapides » (sensibilité élevée).

Des tas d’ingénieurs/chercheurs se sont penchés sur ce problème et le premier à avoir proposé une « échelle » de valeur est un ingénieur Polonais, Władysław Małachowski (1837–1900), surnommé Leon Warnerke – en 1880.

Sans les citer tous (vous trouverez les références ci-dessous), les plus connues sont sans doute l’échelle de Weston (1932) qui fabriqua un des tous premiers posemètres, le « Weston model 617 »; puis vint le système DIN (Deutsches Institut für Normung) en 1934, suivi par le BSI (British Standards Institution), ensuite les Asa (pour American Standards Association, connue aussi sous la dénomination de ANSI – American National Standards Institute, 1943) qui sont une standardisation des normes existantes, ensuite le Gost russe (1951), équivalent aux Asa.

Enfin, en 1974, l’échelle ISO remplace celle des Asa et DIN. Vous verrez souvent sur l’étiquette d’un film la sensibilité écrite « ISO 100/21° » : la première valeur étant celle des Asa, la seconde celle exprimée en Din. Mais dans la vraie vie, on parle de 100Iso, la norme Din ayant peu à peu disparu.

-« Ça va, vous suivez toujours ? »

Il fallait donc créer un appareil capable de donner, rapidement, une lecture de la luminosité et par là, ensuite, de déterminer l’ouverture adéquate.

Le tout premier « posemètre » fut l’œuvre de Alfred Watkins, en 1890.

Entièrement mécanique, il est le résultat des calculs faits par Watkins et se présente sous la forme d’une règle à calculs.

Mais un « vrai » posemètre est composé d’une cellule photo-électrique et d’un calculateur, manuel (de type règle à calcul) ou électronique.

La première cellule au sélénium est inventée par un américain, Charles Fritts, en 1883.

Le principe est simple : une plaque de métal est recouverte de sélénium, qui produit de l’électricité lorsque l’énergie lumineuse touche sa surface. Un amplificateur est nécessaire pour restituer la quantité infime d’électricité produite par le sélénium, ce qui complique les choses si on veut que le posemètre soit portable.

Comme d’habitude, il faudra hélas attendre la fin de la première guerre mondiale pour bénéficier des avancées technologiques issues du conflit pour voir apparaitre le premier posemètre à énergie, inventé et vendu par J. Thomas Rhamstine de Détroit (1931).

Puis, le japonais Tokushichi Mishima utilise une autre technologie qui ne nécessite pas de batteries et il présente le posemètre Alnico.

C’est à ce moment là qu’entrent en jeu deux autres pionniers de la mesure de la lumière, Gossen (Allemagne) avec le Gossen Ombrux et le Weston 617 dont j’ai écrit quelques mots plus haut.

Et rendons à Weston ce qui lui appartient : la paternité du premier posemètre avec mesure de la lumière et règle à calcul intégré.

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Les cellules à main ou posemètres travaillent soit avec une cellule photovoltaïque, qui permet au posemètre de fonctionner sans alimentation électrique (comme le sélénium), soit une cellule photo-résistante, soit encore une photodiode (ces deux derniers systèmes ont besoin d’une batterie ou pile pour fonctionner).

Bien évidemment, dès ce moment-là, des dizaines de fabricants vont se ruer sur la fabrication des posemètres, chacun avec son petit « truc » en plus (ou pas d’ailleurs).

Le maître mot étant celui de la portabilité et de la justesse des mesures indiquées, en plus de celle de la lecture simple et rapide des informations nécessaires.

S’il peut être tentant d’acquérir une cellule ancienne – il y en a de très belles – je ne le conseille pas, en tout cas, pas pour un usage courant.

Le sélénium ou autre produit photovoltaïque ont tendance à « s’épuiser » avec le temps, rendant la cellule inopérante.

Les autres, qui nécessitent une source d’énergie, faisaient appel, souvent, à des piles ou batteries aujourd’hui disparues et impossibles à remplacer car au mercure.

Enfin, une cellule indépendante, ça « traine » dans un sac, une poche, ça prend des coups et s’abime. J’en ai quelques unes ainsi, cassées, fêlées, qui se décollent et finissent par tomber en morceaux.

Puis, les plastiques de l’époque, voire la bakélite pour certains modèles, se dessèchent, se fissurent et cassent.

Bref, si vous aimez les beaux objets, pourquoi pas, mais laissez-les en exposition.

Pour sortir et faire des photos, prenez du neuf ou du « pas très vieux » toujours utilisable.

Là il y a aussi quelques écoles : celle de la cellule à main et celle de la cellule que l’on fixe sur l’appareil, et celle que je n’aime pas mais qui dépanne, celle du smartphone à tout faire (via des applications).

Que choisir ?

Chacun son école. Disons que la cellule à main est la plus « universelle », souvent la plus lisible car bien proportionnée.

Les cellules à fixer sur l’appareil peuvent participer au « look » de celui-ci. Anecdotique ? Pas vraiment car photographier avec un vieil appareil donne un charme discret que je trouverais dommage de dénaturer.

Quelles marques et quels budgets ?

Alors là, comme pour le reste, tout est possible en terme de budget.

Au point de vue des marques, les Sekonic, les Gossen se disputent le marché et se valent en terme de qualité.

Trois modèles semblent revenir en tête pour ce qui concernent les cellules à main :

  • Gossen Digisix 2, très compacte et légère (40gr), on la glisse dans toutes les poches. Lecture numérique multimodes. Elle offre les fonctions du posemètre classique, en incluant la mesure de la lumière incidente et la mesure de contraste. En plus de sa fonction première, l’appareil dispose d’un thermomètre et d’une horloge avec une fonction alarme et une fonction chrono, mais ça, c’est presque inutile (prix approximatif 220€).
  • Gossen Sixtomat 2 Electronic, analogique avec un pointeur. Un grand classique toujours d’actualité (prix approximatif 70€)
  • Sekonic L-208 Twin Mate. Ici aussi, de l’analogique avec un pointeur : il suffit juste de tourner une molette pour aligner le marqueur d’index à la position du pointeur, ensuite il reste à lire les combinaisons vitesse d’obturation et ouverture (prix approximatif de 105€).

Petit exemple d’utilisation via le Sekonic L-208 Twin Mate (merci initiation à la photographie)

Avant toute chose, il faut ajuster la sensibilité du film que vous allez utiliser, les ISO (cercle jaune).

Ensuite, il faut choisir le mode de mesure que vous allez effectuer : lumière incidente ou lumière réfléchie.

Par exemple, pour une sensibilité de 100 iso, vous obtenez les couples f/5,6 et 500s, f/8 et 250s; f/11 et 125s ; f/16 et 60s. A vous de choisir en fonction de ce que vous voulez privilégier : profondeur de champ, vitesse pour éviter le flou de bougé, etc.

Comme leur nom l’indique, la lumière incidente est celle qui éclaire le sujet, la lumière réfléchie est celle renvoyée par le celui-ci

Pour la première, on se place au plus près du sujet et on oriente la cellule vers l’appareil photo. Cette mesure convient bien au portraits et aux sujets cadrés serrés, qu’il est facile d’approcher.

La seconde est encore plus simple : vous orientez la cellule vers le sujet. Elle convient de ce fait bien aux paysages. Idéalement, on balaye le ciel, les zones d’ombre, les zones claires et on en tient compte pour calculer son exposition.

Dans la pratique, c’est celle que l’on utilise le plus souvent. Vérifiez quand même sur votre cellule laquelle vous avez mis en œuvre, pour éviter des données faussées.

Notez que ça se voit vite car généralement c’est un bout de plastique blanc que l’on déplace qui vous fait passer de l’une à l’autre sur la cellule.

L’utilisation d’une cellule ne vous dispense pas de réfléchir car elle peut se faire piéger dans certains cas. Le plus classique est celui de la neige : très blanche, elle induira une sous-exposition, qu’il vous faut corriger en surexposant ou en allongeant le temps de pose. Les belles plages de sable blanc écrasées de soleil vous joueront les mêmes tours !

Toutes les explications ci-avant valent bien évidemment pour la seconde sorte de cellule, celles que l’on fixe sur l’appareil, généralement dans la griffe porte flash ou accessoires.

Je ne vous présente ici que des modèles récents. Il en existe de plus anciens mais les remarques faites pour les cellules à main restent évidemment valables (épuisement des cellules au sélénium, piles introuvables, etc.).

Le principe reste sensiblement le même : vous réglez la sensibilité du film utilisé et, pour le premier modèle, vous pouvez régler selon votre goût vitesse et ouverture et l’appareil vous soumet son réglage. Pour le second, après avoir réglé la sensibilité, vous visez votre sujet et vous lisez la proposition faite sur le petit écran.

C’est le second modèle que j’ai commandé sur un grand site chinois bien connu (35€ frais d’envoi compris !) et j’ai retrouvé une Gossen Sixtar au CdS (avec une pile PX 625) qui fonctionne comme au premier jour.

Bref, vous savez maintenant que le choix existe, qu’il est assez vaste. Déterminez d’abord vos besoins (paysage, portrait, studio) car ils influeront sur le choix de telle ou telle cellule.

Mais gardez en tête qu’il vaut mieux en acheter une récente, calibrée correctement, que d’utiliser les jolies anciennes devenues moins fiables avec le temps.

Dernier petit truc si vous n’avez pas de cellule sous la main : si votre carnation est dans la moyenne des européens (pas trop blanche, pas bronzée), faites une mesure sur la paume de votre main, sa « couleur » est très proche du gris à 18% (c’est empirique mais ça dépanne !).

Bonnes photos.

Petites videos ajoutées grâce à l’intervention pertinente d’Olivier : comment mesure la lumière avec une cellule ? (Eric Gibaud)

Des références : https://www.filmisundead.com/cellule-a-main-posemetre-a-quoi-ca-sert-comment-sen-servir/, http://vivre-de-la-photo.fr/comprendre-et-maitriser-le-triangle-dexposition/, https://posenature.fr/triangle-exposition/, https://pix-visu.me/2022/08/01/comprendre-le-triangle-dexposition/, https://fr.wikipedia.org/wiki/Sensibilit%C3%A9_ISO, https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Watkins, https://fr.wikipedia.org/wiki/Posem%C3%A8tre, https://www.nicolas-beaumont.com/le-posemetre-apps-materiel/,https://photosavi.com/les-meilleurs-posemetres-pour-la-photographie-en-2021/, https://initiationphoto.com/comprendre-et-utiliser-le-posemetre-a-main-sekonic-l-208-twinmate/

4 commentaires sur “Les cellules indépendantes

  1. Bonjour JP, Je ne suis intéressé aux cellules il y a peu et j’ai découvert un photographe passionnant qui a une chaine Youtube ( Eric Gibaud ). il a fait une présentation particulièrement instructive de la cellule à main en nous expliquant l’utilisation du fameux carton gris à 18 %…. Le titre de sa vidéo sur Youtube : Comment mesurer la lumière avec une cellule? Exemples avec Sekonic Litemaster L-478D . un article qui arrive au bon moment.

    • Ah, super l’info, merci Olivier. Il est vrai que même si a l’air simple, il y a quelques petits trucs utiles à maitriser pour bien utiliser sa cellule. Je vais ajouter sa video à l’article. Toutes mes amitiés.

  2. Certes, la cellule indépendante (souvent appelée posemètre) était indispensable pour utiliser des appareils qui en étaient dépourvus. Aujourd’hui, le posemètre n’est pas nécessaire pour la photo de tous les jours, car tous les appareils photo en ont une cellule intégrée.

    Par contre, aucun appareil n’est doté d’un flashmètre intégré, indispensable pour la photo en studio, avec des flashs indépendants. Le flashmètre, qui peut aussi fonctionner en mode posemètre, étant un appareil assez cher, il y a deux écoles : Ceux qui disent que c’est nécessaire et ceux qui disent que l’on peut s’en passer en faisant des essais successifs jusqu’à trouver la bonne exposition. Je fais partie de la première école car multiplier les tests avant d’avoir la bonne photo, ça fatigue les flashs et les yeux, et surtout ça ne fait pas sérieux quand le sujet est un modèle vivant qui a sa propre patience (sans parler de la chaleur dégagée par les flashs de studio).
    Mais c’est un autre sujet… 🙂

    • Tu as raison. Je n’ai pas voulu parler du flashmètre, plus spécifique et plus cher si on n’utilise pas la fonction. Mais en studio, il est indispensable et permet, au bout du compte, de faire quelques économies car les lampes coûtent finalement plus chers, l’ophtalmologue aussi. Belle soirée Phil et à bientôt.

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