Le Kiev 88

Préambule.

Ce qui effraie beaucoup de personnes qui voudraient essayer le « moyen format », c’est bien souvent le … prix des appareils.

Quoiqu’il y ait moyen format et moyen format.

Ce terme un peu désuet désigne généralement des appareils qui acceptent des films dit « 120 », c’est-à-dire une bobine de film avec laquelle vous parviendrez à prendre de 8 à 16 vues maximum. Notons que la plupart accepte aussi le film dit « 220 » qui permet le double d’images.

Dans ce fourre-tout vous trouverez aussi bien des Zeiss Ikon folding que des Voigtländer à soufflet, des Rolleiflex, des Yashica Mat, des Minolta Autocord, des Bilora, des Agfa Clack, des Hasselblad, et la liste est bien loin d’être exhaustive.

Avec cependant une constance : une qualité d’image élevée tant par l’utilisation des appareils précités que parce que le négatif sera au pire un 4,5 x 6, plus généralement un 6 x 6, voire un 6 x 7 ou un 6 x 9cm .

Et une seconde constance, finalement, celle d’un prix assez élevé pour les dits appareils.

Quoique, en cherchant bien dans la (petite) liste ci-dessus, vous aurez remarqué un Agfa, un Bilora, auxquels j’aurais pu ajouter un Lubitel, un Diana … et ce Kiev 88. Pas de quoi vous ruiner.

Car oui, il a existé – j’utilise à bon escient le passé – des appareils moyen format accessibles et pas forcément de piètre qualité !

Dont notre bon appareil ukrainien, conçu et produit à Kiev par la société Arsenal.

Si vous avez lu l’article consacré au Mamiya M 645 Super (ce que je recommande bien sûr), vous avez compris ce qu’était un « système », soit un ensemble d’accessoires que l’on peut associer à une chambre noire (le boitier) pour réaliser ses photos selon ses envies, ses besoins.

Et bien notre Kiev 88 s’inscrit aussi dans cette tradition, avec toujours le même avantage, le prix !

Un peu d’histoire.

Mais commençons par le commencement et un peu d’histoire ne fera pas de mal.

Comme beaucoup d’usine basée dans un pays de l’univers russe (l’UKraine est alors un des nombreux satellites de l’Union Soviétique), la majeure partie de la production de l’usine d’Arsenal, à Kiev, est d’ordre militaire.

Pour des raisons que la raison ignore (c’est de la politique), il fut décidé cependant que l’usine allait produire des appareils photographiques pour rivaliser avec les concurrents « capitalistes » comme Zeiss, Hasselblad et autres Rollei. Nous sommes au sortir de la seconde guerre mondiale et la guerre froide est en route.

Le premier appareil s’appelait Salyut.

Non, non, pas comme le programme spatial russe, il s’agit ici d’un appareil photo que l’on dit très, très, vraiment très proche du Hasselblad 1600. Cette série sera produite de 1957 à 1972, avec de nombreuses améliorations car si Hasselblad a assez vite abandonné le 1600, pour des problèmes liés à la conception de l’obturateur, les russes l’ont gardé et tenté de l’améliorer, parfois avec succès.

Voici à quoi il ressemblait :

Ces appareils étaient essentiellement destinés aux photographes russes et pas à l’exportation. Toutefois, en 1975, ils introduisent une énième évolution, qui portera le nom de Kiev 80. Cet appareil porte une nouvelle monture, dite monture B, il perd un peu de rapidité en vitesse (1/1000s au lieu de 1/1500s) mais il s’avère plus fiable.

C’est enfin un produit qui est destiné aux exportations du « savoir-faire » russe.

S’il est plus fiable, il n’est pas parfait. Au fil des améliorations, nous arrivons en 1983, date de sortie du Kiev 88 qui nous occupe aujourd’hui (l’exemplaire de cet article date de 1991).

Voici un exemple de publicité d’époque avec les objectifs du « système » (merci Kievaholic):

C’est le modèle le plus connu et le plus utilisé de la série, qui se clôturera sur un Kiev 88CM, c’est-à-dire un Kiev 88 encore plus fiable et qui adopte une nouvelle monture, la C (CM = C mount) qui est compatible avec les objectifs du Pentacon Six et ceux produits par Carl Zeiss Jena d’excellente réputation.

Le Kiev 88 est plutôt lui inspiré d’un autre Hasselblad, le 1000 (on le surnomme d’ailleurs le « Hasselbladski »). Mais il utilise un obturateur à plan focal (que le suédois avait abandonné) et les objectifs des uns et des autres ne sont pas compatibles, alors que les viseurs le sont.

Si l’appareil est bien plus satisfaisant que ses prédécesseurs, il n’est pas au standard de la concurrence (doux euphémisme), mais il garde un joli succès en Occident car il n’est pas onéreux.

Et si jamais vous tombez sur un Arax, un Hartblei, un Brenner B.I.G., un Wiese Fototechnik ou Kiev Usa (oui, ils ont de l’humour de l’autre côté du mur), se seront des Kiev 88 reconditionnés par des vendeurs qui veulent améliorer les quelques soucis de qualité des appareils russes. Heu … leur prix sera en rapport avec les modifications apportées.

Car oui, vous pouvez tomber sur le rossignol de service, qui va vous lâcher lâchement à la première sortie, mais il y a des exceptions et celles-ci sont bonnes.

Présentation.

Alors, allons-y pour voir de plus près cette machine au poids certain et qui demande un peu de douceur pour (bien) fonctionner longtemps.

Le point commun à toutes les caméras de Kiev est qu’elles sont résolument manuelles : pas d’autofocus, pas d’exposition automatique, pas d’avance automatique du film, pas de piles (sauf pour alimenter les prismes accessoires éventuels). Ce sont également des appareils photo entièrement métalliques, d’où un poids assez conséquent (1,3 kg avec le magasin et sans objectif).

Même le rideau est métallique. Ne pas y mettre les doigts, c’est quand même fragile ! Remarquez en dessous, le chiffre qui commence par 91 : c’est la date de fabrication.

Le principal avantage du Kiev 88 réside dans ses dos de film interchangeables. Cela permet aux photographes d’avoir plusieurs dos chargés de films différents qui peuvent être facilement fixés ou retirés de l’appareil photo. Cela peut même être utile si vous devez basculer entre un film lent et rapide lorsque la lumière change. Grâce aux dos interchangeables, vous n’aurez pas toujours besoin de terminer un rouleau avant de pouvoir changer de type de film.

Les dos de film interchangeables offrent également la possibilité d’utiliser un dos Polaroid pour vérifier votre configuration avant de prendre la « vraie » photo. Il s’agit d’un outil précieux pour les photographes de studio et de portrait.

Mais qui dit dos interchangeables suppose usinage précis pour éviter les fuites de lumières, blocage du film, mauvais espacement des vues. Et ce degré de précision n’a jamais été le point fort de l’usine.

Rassurez-vous, il existe des solutions pour éviter la plupart de ces soucis, je vous en livre quelques unes.

Les fuites de lumières sont facilement résolues par un fin cordon de mousse autour du dos, ce qui assurera une meilleure étanchéité. Prenez une mousse peu épaisse (maximum 1mm) et souple.

Afin d’éviter les problèmes pendant l’avancement du film, soyez attentif au chargement du film dans le dos interchangeable, c’est souvent là que le bat blesse. Ensuite assurez-vous de bien accrocher le dit dos.

Bien faire attention à cette manœuvre pour éviter les mauvaises surprises.

Ah oui, si vous avez bien suivi la manœuvre mais que vous ne parvenez pas à déclencher, regardez si vous n’avez pas oublié de retirer la protection du film une fois celui-ci posé avec le dos sur l’appareil !

Et les objectifs ?

La monture d’objectif du Kiev 88 est appelée type B. Il s’agit d’une monture d’objectif à vis à l’ancienne, mais ne nécessitant pas autant de rotations que les objectifs à monture à vis comme les Leica ou Zorki et Fed (pour rester dans le pays). La monture d’objectif Kiev Type B nécessite simplement un tour d’environ 90 degrés pour se verrouiller en place. Ne forcez pas, ça ne sert à rien qu’à … l’abimer.

Notons que quelques exemplaires, revus et corrigés, arborent une monture de type C, celle du Pentacon et des objectifs Carl Zeiss Jena, ne soyez pas surpris.

Mon exemplaire est muni d’un viseur dit « de taille ». C’est-à-dire que vous regardez par le haut sur le dépoli pour voir votre image, qui sera inversée comme sur les TLR de style Yashica Mat et consort.

Ce dépoli est gravé de fines lignes qui forment un cadre avec des verticales et des horizontales. Elle vous aideront à la création de votre composition et à être bien à l’horizontale.

La visée est assez claire finalement, le dépoli est assez large.

Vous voilà prévenu, il ne faut pas se laisser distraire ni par le bruit ni par la résistance lorsque vous tournez le bouton d’armement, c’est assez physique et déconcertant. Mais de fait, le mouvement relève le miroir, arme le déclencheur et fait avancer le film.

Comme d’habitude, je ne vais pas effeuiller le mode d’emploi, qui est LA, ça n’a aucun intérêt.

Par contre, je vous encourage à le lire attentivement car si l’appareil est simple, il y a des manœuvres à ne pas effecteur, ou dans un certain ordre.

Un exemple, mais non des moindres : ne jamais changer les vitesses avant d’avoir armé l’appareil (comme les Zorki et le Fed, pour mémoire). Sinon, salade de pignons en perspective !

Un mot sur les objectifs qui accompagnent cet appareil : comme tous les objectifs fabriqués alors en Russie, ils ne sont pas mauvais du tout, mais ça dépend de quand ils ont été fabriqué (un lundi ou un vendredi ?). Sans rire, le pire y côtoie le (presque) meilleur et si vous en avez l’occasion, testez l’objectif avant l’achat (je sais, c’est pas évident).

Les objectifs ukrainiens sont bon marché, c’est déjà ça de gagné. Comme je l’écrivais plus haut, la qualité des optiques est très inégales. Par exemple, si certains sont multicouches, et la plupart ne le sont pas, le dépôt du revêtement peut être assez inégal.

Alors, la mesure la plus appropriée pour éviter les déboires, c’est d’utiliser un pare-soleil !

Quoiqu’il en soit, la gamme des optiques pour les Kiev 88 est celle-ci : Fisheye plein format Arsat 30 mm F3.5, Mir 45 mm F3.5, objectif de contrôle de perspective Arsat 55 mm F4.5, Mir 65 mm F3.5, Arsat 80 mm F2.8, Vega 120 mm F2.8, Kaleiner 150 mm F2.8, Arsat 250 mm F3.5, Arsat 250 mm F5.6, Arsat 500 mm F5.6

La légende dit que le Fisheye Arsat de 30mm a sans doute été le déclencheur de nombreux achats du Kiev 88 car proposé aux environs des 200€, il rivalisait – à sa manière – avec le Distagon prévu pour Hasselblad, facturé lui à 5000€ ! Est-ce que le Distagon était 4800 fois meilleur ?

Si vous voulez découvrir la large gamme d’objectif compatible, c’est par ICI. Et pour les plus pointus d’entre-vous, le résultat de tests sont à découvrir LA.

En résumé, que retenir de ce Kiev 88 ?

Il n’était pas très coûteux à son époque et il ne faudrait pas qu’il le devienne. Comptez maximum 300€ pour un bel exemplaire avec un objectif et un dos.

Sa fiabilité a déjà fait couler beaucoup d’encre. C’est une roulette … russe (désolé, j’ai pas pu m’en empêcher !).

Pour utiliser ce genre d’appareil, il ne faut pas être pressé : tout manuel, c’est-à-dire que vous devrez régler la vitesse, l’ouverture, faire la mise au point, armer l’engin et y indiquer la vitesse retenue avant de pouvoir déclencher.

Honnêtement, si vous vous destinez à devenir photographe professionnel avec cet appareil, ce n’est pas une bonne idée, vos clients risquent de ne pas apprécier qu’il puisse vous faire rater LA photo de l’évènement (et avec lui dans les bras, on ne court pas vite).

Par contre, si vous avez du temps à consacrer à votre photographie et que vous ne voulez pas vous ruiner, c’est un bon choix.

Mais si vous avez l’occasion de trouver un Zenza Bronica S2, un Mamiya M 645 pour à peine plus cher, n’hésitez pas, prenez-les, ils sont plus rassurants.

Toutefois, si vous aimez les appareils un peu différents, qui ont du caractère, du corps, celui-ci fera l’affaire.

Quelques videos d’illustration :

Pour bien le charger :

Quelques exemples de photos prises avec cet appareil :

Pour ne pas vous loupez en le chargeant :

Et comme il ne faut pas avoir peur de comparer :

Des références :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Kiev_88, https://www.wikiwand.com/fr/Kiev_88, http://www.technique-cinematographique.wikibis.com/kiev_88.php, https://wikimonde.com/article/Kiev_88, https://www.mes-appareils-photos.fr/Kiev_88.htm, https://www.suaudeau.eu/memo/collection/mformat/Kiev_88.html, https://www.yannphotos.com/the-best-medium-format-film-cameras-to-buy-in-2022/, https://www.wikiwand.com/fr/Kiev_88, en français; https://lewiscollard.com/cameras/kiev-88-ttl/, https://www.lomography.com/magazine/9995-kiev-88-the-beast-from-the-east, https://kosmofoto.com/2020/04/studio-shooting-on-the-kiev-88/, https://filmphotography.eu/en/salyut/, https://www.analogpanda.com/kiev-88-film-camera-review?privacy=updated, https://www.kievaholic.com/ (une mine), en anglais.

2 commentaires sur “Le Kiev 88

  1. Bonsoir JP, tu vas finir par me tenter.. Jusqu’à présent, j’ai toujours résisté au moyen format. Même si j’ai un LUBITEL-2 dans mes affaires, il n’a pas fait beaucoup de photos. Par contre, ton Kiev 88 me semble très intéressant. Tu as certainement été faire un tour sur EBAY car les Kiev 88 débutent à 300 Euro ! C’est certes un peu plus cher qu’un 24×36 mais bien plus abordable qu’un MAMIYA. Par contre, quand on voit tous les vendeurs, il y en a de tous les pays ( Ex-URSS bien sur ) mais aussi plein d’européens ( Italie, Autriche, France… ). Bref, une superbe machine qui doit être de très bonne qualité maintenant car on peut espérer que tous les appareils construits les Lundi ou les Vendredi ne sont plus sur le marché.

    • Bonjour Olivier, très heureux de te revoir parmi nous. Oui, le Kiev 88 est un bel engin, parfois capricieux, qui demande surtout de l’attention pour bien s’en servir. Je dirais presque que c’est un appareil pour les « contemplatifs » qui prennent tout le temps nécessaire. Mais avec sa bouille à la « Hasselblad », il attire toujours les regards et quand il fonctionne, les images sont magnifiques. Toutes mes amitiés.

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