Le Koroll 24 de Bencini

Encore un appareil étonnant et peu courant. Celui-ci je le dois à mon ami Philippe de Pix-Vision et Pix-Academy qui me l’a gracieusement offert, et je l’en remercie encore.

Il faut reconnaître que ce Bencini Koroll 24 intrigue : une carrosserie tout en métal moulé et simili-cuir noir du plus bel effet.

Et avec son drôle de bouchon d’objectif, il semble sorti d’une bande dessinée de Barbarella, mais dix ans avant la BD !

Nous sommes tellement habitué aux appareils allemands et japonais qu’on en viendrait presque à oublier que d’autres nations ont produit aussi d’excellent appareils photographique dont la Suisse, la France, les USA, l’URSS, l’Italie – au risque de me faire lyncher par ceux que je n’ai pas cités.

Alors un peu d’histoire ne fera pas de tort. Qui est Bencini de Milan ?

On sait peu de choses sur Antonio Bencini. On suppose qu’il est né dans les dernières années du 19ème siècle, quelque part près de Florence.

On le retrouve conscrit lors de la Première Guerre mondiale et l’on sait, grâce à son fils, Roberto Bencini, que c’est lors du conflit qu’il va rencontrer la photographie.

En effet, l’armée italienne utilisait des caméras françaises pour son aviation. Lorsqu’un boitier tombait en panne, il fallait le renvoyer en France et attendre qu’il revienne. Et comme nous étions en période de guerre, disons que tout n’était pas simple ni surtout rapide.

C’est là qu’Antonio Bencini eut l’idée de proposer de réparer lui-même ces appareils.

Technicien aéronautique, il servait dans le service de reconnaissance et savait donc pertinemment l’importance de ces appareils dans le conflit.

Ses supérieurs lui donnent alors l’autorisation de réparer les appareils défectueux et comme il savait y faire, on le laissa le faire.

Heureusement, toutes les guerres ont une fin et une fois celle-là terminée, Antonio Bencini décide d’utiliser son expérience. Il ouvre une menuiserie à Florence et commence à fabriquer des caméras et des loupes.

En 1920, avec un associé, il fonde la F.I.A.M.M.A. (Fabbrica Italiana Apparecchi Machinei Materiali Accessori). Ce fut un succès car dès 1931 l’entreprise possédait une usine de 3.000 mètres carrés et employait 100 salariés.

En 1933, FIAMMA continue à fabriquer des chambre en bois pour les professionnels mais elle se lance aussi dans la production de petits appareils en tôle, destinés aux débutants. Le Fiammetta offre un format 6×9 sur pellicule 120 et le Gioietta pour le format 4,5×6 sur film 127.

Pourtant, en 1935, Ferrania, la plus importante industrie photographique d’Italie, rachète et absorbe la FIAMMA.

Dès lors, Antonio Bencini va s’installer à Turin où il fonde FILMA avec laquelle il continue à construire ses boites en tôle qui font des photos, toujours dans les mêmes formats.

Décidément Ferrania est gourmande car en 1937, elle rachète encore cette société.

Pas découragé, Antonio Bencini part pour Milan où il crée ICAF. Avec elle, il continue à fabriquer des appareils simples et économiques mais de qualité.

Dès 1939 apparait un nouveau boitier, le Roby, en métal pour film 120 et donnant un format de 6x9cm et le Gabry, toujours en métal avec du film 127 pour le format 4x6cm, et enfin le Delta, un pliant (folding) en format 6x9cm sur film 120.

Selon la légende, Roby et Gabry étaient dérivés des noms des enfants d’Antonio Bencini, Roberto et Gabriella.

Au seuil de la seconde guerre mondiale, la société change de nom et devient CFM. Comme nous sommes sous un régime fasciste, qui émet des règlements pour tout et n’importe quoi et notamment l’utilisation des mots étrangers, les noms de Roby et Gabry deviennent Robi et Gabi. A ceux-là s’ajoutent deux nouveaux pliants, l’Etna et l’Argo, semblables au Delta.

Ce qui devait arriver arriva, la seconde guerre mondiale éclate et l’entreprise ne produit plus que des composants pour vélos et l’industrie aéronautique.

Au sortir de ce second conflit, Bencini reprend la production de certains appareils d’avant guerre, dont le Robi et l’Argo, ainsi que deux autres appareils, toujours des pliants, le Deko et l’Erno (rares).

Il faut attendre 1946 pour qu’un nouvel appareil n’apparaisse, le Rolet, qui utilise des film en 127 pour un négatif en 4x6cm. C’est un appareil que l’on dirait hybride au sens où il conserve la structure des appareils pliants mais le soufflet est remplacé par un barillet en tôle sur lequel on greffe le bloc optique et l’obturateur, qui est un objectif rentrant.

Source : Camera-wiki, le Rolet

C’est au fils Bencini, Roberto, que l’on doit cette idée. Il sera d’ailleurs dorénavant le créateur des nouveaux modèles de la Bencini Spa. Pour contrer les éternels appétits de la Ferrania, Roberto Bencini interrompt ses études à la Faculté d’Architecture de l’École Polytechnique de Milan et se lance dans la conception de nouveaux modèles pour sa société.

Après le Rolet, ce sera le Comet, qui sera la dynastie d’appareils photos la plus connue et la plus longue de l’entreprise. Nous sommes en 1948.

C’est encore un petit appareil en aluminium moulé sous pression, pour film 127 avec toujours un négatif de 3x4cm.

Source : Artdecocameras

Cet appareil simple mais à l’apparence robuste est un succès commercial immédiat. D’autant que le nom choisit ne l’était pas par hasard : c’était celui du premier avion à réaction transportant des passagers utilisé en Angleterre à la même époque.

Dès 1951, la Bencini Spa (dernier changement de nom) présente deux nouveaux appareils en aluminium moulé sous pression, le Relex (qui succède au Rolet) et le Koroll. Si le premier utilisait encore du film 127 pour un négatif de 3x4cm, le second était en film 120 et offrait un double format, le 6×6 ou le 4,5x6cm.

La firme proposait finalement au photographes amateurs une gamme d’appareils qui couvrait les formats les plus usuels à l’époque, le 3×4 et le 6×6 en film 127 et 120. Les solutions techniques et les modèles étaient, au demeurant, assez similaires.

Au fil du temps, ces différents appareils vont évoluer avec, par exemple, la synchronisation des flashs en 1955 ou des améliorations esthétiques, destinées surtout à abaisser les coûts de fabrication et réduire les temps de production.

Bencini a été la dernière des industries italiennes productrices de matériel photographique non professionnel à cesser ses activités, après avoir résisté à la concurrence allemande puis japonaise. Après quelques autres tribulations, la firme arrêtera toute production en 1984.

Pour en revenir à l’appareil qui nous préoccupe aujourd’hui, le Koroll 24, il apparait en 1957. Toujours en aluminium moulé sous pression, il utilise du film 120 avec lequel on obtient 24 négatifs de 3×4,5cm.

En 1960 le modèle évolue et devient le Koroll 24S parce qu’il gagne un objectif plus rapide avec la sélection de 2 ouvertures (f9 et f11) et jouit des quelques corrections esthétiques.

Notre Koroll 24 donc sera produit de 1957 à 1960. Il propose des solutions simples et finalement éprouvées :

  • un objectif de 60mm ouvrant à f11
  • la mise au point se fait avec une échelle en mètres ou en pieds (le cas de cet exemplaires prévu pour le marché anglais où la société exportait ses appareils depuis 1947)
  • une vitesse unique de 1/50s et une astucieuse pose B

Pendant sa brève carrière, il n’y aura que 2 variantes du Koroll 24 : les premiers appareils auront une bague ronde pour la mise au point et l’échelle de distance est gravée sur la bande décorative autour, alors que pour la seconde mouture, cette bague est conique avec l’échelle de distance gravée dessus.

Le Koroll 24 dispose d’une vitesse unique, à 1/50 de seconde, et d’une pose B, sélectionnable à l’aide d’un petit ergot situé sur le côté de l’objectif, à tirer vers le haut.

Sur le bloc objectif et obturateur, nous trouvons la prise pour le flash (3mm) et de l’autre côté, le petit levier de la pause B. Tant que ce levier est soulevé, l’obturateur reste ouvert.

Pour ouvrir l’appareil, il faut descendre le verrou, sur la tranche gauche (vu de face) et le dos s’ouvre sur la chambre. Pour refermer, manœuvre inverse car il ne faut pas oublier de refermer le verrou. Les assemblages sont très bons et il n’y a pas de jeux dans les pièces.

Lorsque l’on ouvre la chambre pour la première fois, ce qui frappe, c’est la forme du cadre, un 3×4,5cm. Pas de guide pour positionner le film mais les deux bobines sont bien serrées dans la chambre et évitent tout jeu à cet endroit. Une large plaque de pression fait son travail pour éviter tout mouvement intempestif. Pour pouvoir insérer la pellicule il faut soulever la grosse molette d’entrainement.

Au fonds de la chambre, on aperçoit le mécanisme rudimentaire mais efficace de l’obturateur, qui n’est pas sans rappeler celui des Bilora Bella ou Bilora Bella 66, contemporains.

Sur le capot, un gros bouton pour faire avancer le film et le déclencheur, en saillie et fileté ; puis, au dessus du viseur, la griffe pour le flash. Attention, le fait de faire avancer le film n’arme pas le déclencheur, qui est toujours en position pour prendre une photo. Risque de double exposition donc si on n’y prends pas garde.

Aux deux extrémités du capot, vous trouverez deux emplacements pour fixer une courroie de transport (qui disparaitra sur le Koroll 24S).

Et un viseur disons, rudimentaire : un simple tunnel avec un minuscule trou pour visser et une fenêtre de sortie tout aussi riquiqui. Mieux vaut estimer les distances sur l’objectif quoiqu’il n’y ait pas d’échelle de profondeur de champ pour vous guider. La mise au point minimale descend à 3 pieds, soit plus ou moins 1,2m si je ne me trompe pas dans la conversion.

Ici, pas de compteur de vue mais 2 fenêtres rouges sur la porte arrière, par lequel vous verrez les chiffres imprimés sur le papier du film 120 défiler. Simple et efficace à défaut d’être « moderne ». Pourquoi 2 fenêtres ? Sans doute un héritage des anciens Koroll qui permettaient de passer d’un format 3×4,5 au 6×6.

Ce qui est étonnant, aussi, avec ce Koroll 24, quand on le regarde pour la première fois, c’est vraiment cette impression de solidité : hormis la charnière sur la tranche droite (toujours vu de face), il n’y a pas d’aspérités. Le moulage du corps comprend une seule pièce qui réunit le corps proprement dit mais aussi le fut de l’objectif et le cadre du viseur. Une belle pièce de fonderie.

Le bloc objectif et obturateur est fermement fixé au fut. Il y a finalement très peu de vis apparentes sur cet appareil (autour du viseur et de l’objectif).

Comme souvent avec ces appareils très simples, on ne risque pas trop de se tromper pour prendre une photo : rappelez-vous, ouverture fixe de f11 et vitesse unique de 1/50s, possibilité de fixer un flash à lampe ou électronique et enfin une pose B pour essayer de jouer sur des vitesses différentes (pied indispensable alors).

Étonnamment, les images produites par ce Koroll 24 sont très belles (voir le lien ci-dessous). Comme quoi, il ne faut pas toujours une « usine à gaz » pour fixer des moments uniques sur la pellicule.

Un petit rappel toutefois : le format 3×4,5 est un format en « portrait », c’est-à-dire dans la hauteur si vous tenez l’appareil normalement. Si vous voulez passer en « paysage », il faut basculer l’appareil pour le mettre à la verticale. On s’y fait …

En résumé, cet appareil est assez rare, mais – heureusement – ça n’influe pas trop sur son prix. Paradoxe des collections car à l’origine cet appareil était un champion des prix compressés.

Disons qu’il faudra compter sur 50€ pour un exemplaire en parfait état et, idéalement, avec son « sac tout prêt ». Mais il faudra chercher …

Des exemples de photos prises avec cet appareil ICI.

Données techniques des Koroll 24/24s :

Introduit vers 1953
24 images 3×4,5 cm sur film 120, utilise deux fenêtres rouges
Obturateur : à vitesse unique et B
Objectif : f/11 (24S : f/9 ou f/16)

Pour le mode d’emploi (11 pages, ça change), c’est par LA mais est-ce bien nécessaire ? Ils l’écrivent eux-mêmes dans le livret :

Des références : https://www.lomography.com/magazine/199584-bencini-koroll-24s-a-beautiful-camera-from-the-50s, http://camera-wiki.org/wiki/Bencini_Koroll, https://historiccamera.com/cgi-bin/librarium2/pm.cgi?action=app_display&app=datasheet&app_id=3723&, https://cameracollector.net/bencini-comet-koroll/ en anglais ; https://www.collection-appareils.fr/x/html/page_standard.php?id_appareil=79, en français ; https://bencinistory.altervista.org/intro%20modificata.html, https://bencinistory.altervista.org/15sch_koroll24.html, en italien.

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