Le Photo Sniper ФС-12 (FS-12)

Cet article fait partie d’une série d’hommages.

Une caisse en tôle, vert kaki, lourde (+/- 6kg5) avec, au dessus de la poignée en cuir, une inscription en écriture cyrillique et un gros bouton cranté, noir, en dessous.

Caisse à outils ? Caisse avec un kit de survie de l’armée russe ? … surprise, il s’agit d’un kit photographique !

En fait, ce kit ФС-12 (FS-12) se compose d’un boîtier reflex Zenit 12S, d’un fût métallique avec poignée pistolet, d’une crosse d’épaule métallique, d’un objectif standard Helios-44M-4 de 58 mm, d’un téléobjectif Tair-3S de 300 mm, d’un filtre UV, de deux filtres jaunes, d’un filtre orange, d’un filtre vert, de deux tournevis et deux cartouches à remplir de pellicules photo format 24 x 36. Non, ne cherchez pas, il manque le raton laveur de Prévert !

Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser les Russes à créer cet ensemble et quand leur est venue cette idée saugrenue ?

Déjà avant la guerre 40 – 45, l’armée russe avait envisagé le montage d’un appareil photo sur une crosse de fusil. C’est l’entreprise GOI (Leningrad) qui envisageât cet assemblage avec un Fed modifié, une crosse de fusil et un téléobjectif Tair arrangé. Ainsi naquit le FS-1 vers 1937. Plutôt prototype que réel outil à usage militaire, mais l’idée était là.

C’est lors du siège de Stalingrad (du 11 juillet ’42 au 02 février ’43, 2.000.000 de morts) que le rôle du Sniper (tireur d’élite militaire) a été démontré, tout comme la reconnaissance des positions adverses avant de lancer une contre-attaque.

L’état-major russe décide d’équiper les troupes de reconnaissance d’un appareil photographique robuste et performant, qui doit pouvoir être mis en œuvre par le soldat, aussi rapidement que son fusil.

Ainsi naquit le FS-2, un appareil FED (copie du Leica II … allemand) fournit par GOI (qui avait déjà envisagé le FS-1, souvenez-vous), que l’on modifie en lui adjoignant une crosse en bois de fusil Mosin-Nagant, le fusil en dotation de l’armée soviétique.

On garde même le mécanisme de détente, qui est alors relié au déclencheur de l’appareil. Il sera muni, en guise de « canon » d’un objectif Tair-2 de 300mm ouvrant à f4,5. Ce premier appareil sera fabriqué à 300 exemplaires environ, de 1943 à 1945.

Fin de la seconde guerre mondiale, nait une autre guerre, celle que l’on a qualifiée de « froide » (1945 – 1989). Période trouble où un pouvoir occulte et dangereux, le KGB, va se réserver l’utilisation de ces appareils pour ses surveillances.

Cependant, ce type de matériel va perdre de sa valeur stratégique assez rapidement, les progrès en matière d’espionnage sont rapides et plus … discrets.

Une version modernisée, appelée FS-3 sera fabriquée et destinée au marché civil ainsi qu’à l’exportation. Cette version sera fabriquée de 1965 à 1969 et comprend le kit que nous connaissons aujourd’hui : un objectif standard de 58mm, un téléobjectif de 300mm, des filtres, des pièces de la crosse, des accessoires de montage, le tout logé dans une mallette métallique. L’appareil photo est un Zenit E légèrement modifié car c’est dorénavant KMZ qui fournit les boitiers.

Pour la petite histoire, le Zenit E sera sans doute le réflex le plus produit au monde : 8.000.000 d’exemplaires, un record !

Source : Crypto Museum

Plus tard, la mallette sera remplacée par un sac en cuir, puis de nouveau un container en métal pour la dernière version, le FS-12. Cette dernière série sera produite de 1982 à 1995 à 110.000 exemplaires, selon les sources. Normalement, on peut aussi porter le container comme un sac à dos, grâce aux lanières en cuir qui sont fournies avec l’appareil et que l’on glisse dans des encoches. Heu … très inconfortable !

Et, selon la légende, c’est parce que Nikita Khrouchtchev avait casé son FS-3 et qu’il voulait le remplacer que KZM relança la production du Photo Sniper.

Le dernier kit se compose cette fois d’un boitier Zenit 12 XPS (1995), d’un fut métallique avec poignée pistolet, un crosse d’épaule à monter sur le fut, un objectif standard Helios – 44M-4 de 58mm, un télé-objectif Tair-3S de 300mm, d’un filtre UV, de deux filtres jaunes, d’un filtre orange, d’un filtre vert, de deux tournevis et deux pellicules photo format 24 x 36 deux bobines vides à remplir soi-même ou deux bobines « commerciales ».

Monté sur sa crosse d’épaule, le Photo Sniper FS-12 mesure 603mm (réglage maximum) et pèse 2,9kg. Même si le fait de le porter avec une crosse rend le port plus confortable, le poids est là ! L’idéal, c’est de la fixer sur un trépied (le zoom possède une bague à cet effet).

L’appareil qui équipe cet dernier ensemble est une version simplifiée, la 12 XPS, du modèle le plus évolué du Zenit, le 12 XP. Vous verrez souvent la lettre « S » accolée aux modèles Zénit des Photo Sniper, pour noter cette simplification.

Ah oui, vous verrez le nom de ce kit orthographié soit Photo Sniper soit Foto Snaiper. Ne vous tracassez pas, c’est le même mais il semble que la traduction de ФОТО СНАЙПЕР soit littérale (Foto Snaiper) ou destinée aux exportations (dans un premier temps limitées aux pays du Pacte de Varsovie) et donc en anglais (Photo Sniper en lettres latines).

Revenons un instant sur l’année 1965, celle où KMZ introduit le Zenit E à monture M42 (à viser) : placé dans le montage du Photo Sniper, il devient Zenit ES. On place un déclencheur supplémentaire dans la base afin que l’appareil photo puisse être déclenché par la gâchette. Le gros téléobjectif Tair 300mm ouvrant à f4,5 reçoit aussi un montage particulier pour la mise au point, effectuée par un cadran situé sous la crosse et une seconde molette permet de régler l’ouverture. Pas évident à manipuler mais avec un peu d’habitude … (voir vidéos en dessous pour mieux comprendre).

Source : Cryptomuseum

Vu ainsi, l’ensemble est assez étonnant …

Lors de la prise de photos, une main tient l’appareil photo par la poignée pistolet et l’appuie fermement contre l’épaule, tandis que l’autre main est libre pour soutenir l’extrémité avant de la crosse (le fut) et régler le bouton de mise au point. Le Tair-3 est doté d’un diaphragme à ressort avec présélection, qui se déclenche en même temps que l’appareil photo grâce à un ingénieux mécanisme. C’est un diaphragme semi-automatique et doit être armé à chaque prise de vue. Enfin, lorsqu’on appuie sur la gâchette, un cliquet libère la commande du diaphragme, tandis qu’un autre cliquet actionne l’obturateur de l’appareil photo modifié.

Source : Vintagelensforvideo, le mécanisme particulier pour le réglage du téléobjectif.

Cet ensemble, le FS-3 donc, sera produit à environ 100.000 exemplaires et finalement, peu finiront dans les forces armées.

Il faudra attendre 1982 pour voir arriver un nouveau modèle, équipé cette fois d’un Zenit 12 SLR soit une version mise à jour du bon vieux Zenit E. Par exemple, son posemètre au sélénium sera remplacé par un au CdS, alimenté par une pile, plus sensible et précis.

Cet équipage sera produit à environ 112.000 exemplaires, un record !

L’histoire se termine en 1995 avec la dernière itération du Zénit, le 122 SLR (ça ressemble à une dénomination de carabine !). Ce sera le FS-122 équipée comme nous l’avons vu du Zenit 12XPS.

Ne comptons pas le nombre de prototypes envisagés qui bien souvent associaient des appareils plus évolués, comme le Zenit 16, un semi-automatique, ou le Zenit 19 au montage particulier du Photo Sniper.

Finalement, la fin de la guerre froide, la chute du mur de Berlin auront raison de cet appareil encore trop souvent associé au KGB qui, en fait, l’a sans doute très peu utilisé : il n’est vraiment pas très discret !

Que penser de ce Photo Sniper ?

Il est original et ressemble plus à un lance-roquette qu’à un appareil photo. Ce qui le rend souvent voyant et sans doute plus à l’aise dans un marché d’armes du côté de Kaboul que dans une bourse photo (quoique le mien sera à Occaphot Bruxelles du 03 décembre ’23).

Mais avant de le proposer à la vente, petit tour de l’engin.

Ce FS-12 est encore assez proche du FS-3, ses composants ont juste été mis à jour. Il date des années quatre-vingt.

Par exemple le boitier est maintenant un Zenit 12S qui propose la mesure de la lumière à travers l’objectif (TTL).

L’objectif de base est aussi revu : c’est toujours un Hellios 44 mais devenu 44-M4 de 58mm ouvrant à f 2. Et évidemment, le téléobjectif Tair suit le mouvement. C’est maintenant un Tair-3S toujours de 300mm ouvrant à f4,5. Ces objectifs ont besoin d’une connexion électrique avec le boitier pour permettre au posemètre de lire correctement la lumière.

Ne nous y trompons pas, le Zenit 12, et sa variante destinée au Photo Sniper, le 12S, est un appareil rare. Environ 90.000 exemplaires ont été fabriqué de ce semi automatique dans la période de 1983 à 1988.

C’est donc un appareil TTL avec un obturateur à rideau qui donne les vitesses de 1/30s – 1/60s – 1/125s – 1/250s – 1/500s et la pose B. L’affichage de la mesure de lumière se fait avec des diodes et non plus une aiguille.

Ce sera le Zenit 12 XPS qui est la version d’exportation du modèle 12 CD, qui fermera la production. Le boitier 12XP sera produit à plus d’un million d’exemplaires. Le 12 CD, réservé au « marché » soviétique sera aussi produit à un million d’exemplaires.

Petit aparté intéressant : la plupart des Zenit ont été produits en grande série :

  • et le premier a été le Zenit 3M avec 781.678 unités,
  • puis le Zenit E avec plus de 8.000.000,
  • le Zenit B avec 889.000 unités,
  • le Zenit ET avec environ 3.000.000 unités,
  • le Zenit EM avec 979.140 unités,
  • le Zenit 11 avec environ 1.500.000 unités,
  • le TTL avec 1.632.212 unités,
  • le Zenit 12XP, plus d’1.000.000,
  • tandis que le Zenit 12 arrivait seulement à 94 489 unités.

N’oublions pas que les appareils Zenit, avec les Praktica, offraient la possibilité aux photographes amateurs de s’équiper à moindre coût d’appareils robustes, pas forcément « glamour » mais qui ont fait leurs preuves au fil du temps (même si la réputation de quelques modèles a donné des sueurs froides à quelques uns).

En combo avec l’Helios 44 M-4, il délivre d’excellents clichés avec un bokeh assez fantastique. N’étant pas spécialiste en objectif, je vous renvoie avec plaisir sur l’excellent site de Radojuva qui en fait une série de présentations et analyses fines.

Bien évidemment, le téléobjectif Tair 3 S n’est pas en reste : il propose un diaphragme à iris assez rond (16 lames). Ses éléments sont de qualité et montés avec précision. Normalement la distance minimale de mise au point est de 2,2m mais la version optimisée pour le Photo Sniper allonge celle-ci à 3,3m mais il propose un meilleur revêtement des lentilles pour des images encore plus qualitatives.

Voilà donc un ensemble étonnant, qui intrigue toujours autant les amateurs d’appareils « différents ».

Son origine belliqueuse s’est adoucie au fil du temps et il reste un appareil particulier qu’il faut prendre le temps d’appréhender. Pas qu’il soit « difficile » à utiliser, mais disons que sa présentation générale demande un petit temps d’accommodation.

Maintenant, comme l’ont souligné avec humour plusieurs des sources consultées, évitez de le sortir lors d’une manifestation, vous risqueriez d’être pris à partie tant par les forces de l’ordre que par certains manifestants peu au fait de l’histoire du matériel photographique.

Se pose alors la question : est-ce vraiment un appareil utilisable ?

La réponse est claire : oui, sans restrictions. C’est un très bon appareil, certes rustique et assez lourd, mais la qualité de ses optiques est reconnue et le boitier ne s’en sort pas si mal.

Il faut juste oser le sortir, si vous en trouvez un à prix raisonnable et complet. Normalement, comptez environ 280€ pour un tel ensemble, ce qui n’est pas exorbitant, vous en conviendrez.

Video d’illustration

Des références : http://camera-wiki.org/wiki/Zenit_Photosniper#Photosniper_FS-12, https://web.archive.org/web/20190327230510if_/http://www.commiecameras.com:80/sov/35mmsinglelensreflexcameras/cameras/photosniper/index.htm, https://kosmofoto.com/2016/12/zorkipedia-zenit-fotosnaiper/, https://www.cryptomuseum.com/covert/camera/sniper/, https://petapixel.com/2021/02/18/hands-on-with-the-weird-fotosnaiper-soviet-sniper-camera/, https://cameragocamera.com/2021/05/19/zenit-12s-and-the-photosniper/, https://www.lomography.com/magazine/177726-zenit-12-a-scarce-soviet-slr, https://web.archive.org/web/20081212014440/http://www.rus-camera.com/camera.php?page=zenit&camera=zenit12, http://camera-wiki.org/wiki/Tair-3 en anglais; https://kameramuseum.de/objekte/zenit-photo-sniper-fs-12/, en allemand; http://www.zenitcamera.com/mans/fs-12/fs-12.html, en russe (merci Deepl Traducteur); https://www.essai-armes.fr/2021/09/26/fusil-photographique-russe-photosnaiper-photosniper/, https://radojuva.com/fr/2011/03/obzor-gelios-44m-4-helios-44/, en français.

4 commentaires sur “Le Photo Sniper ФС-12 (FS-12)

  1. Ce serait à mon avis dommage de le vendre. C’est une pièce de musée !

    Cordialement.

    • hihihi … mais mon épouse ne veut pas d’un musée à la maison ! Et tu le sais, je ne suis pas collectionneur, juste curieux de ce que presque deux siècles de photographie ont pu produire Mes amitiés Nicolas.

  2. Bonjour JP, Un 300 mm ouvrant à f 4.5… J’en ai rêvé pendant des années… A l’époque Olympus proposait un 300 mm f 4.5 pour le prix de 5 boitiers OM-2 n ! Aujourd’hui j’en vois passer à 100 euro et il reste sur la touche. Si les russes avaient réussi à sortir leur production pour des montures japonaises, ils auraient fait un malheur ! Cela dit, c’est un appareil que j’ai surtout admiré dans les catalogue et jamais dans les boutiques. Là ou j’habitais, il y avait peu de photographe ( 3 ou 4 boutiques ) qui n’avaient pas un choix démesuré. Encore bravo pour cette présentation d’une belle réalisation de l’ex Union Soviétique. On retrouve bien l’idéologie russe de l’époque… Les produits sont faits pour durer… Voici ce que cela pouvait donner dans les discours prononcés dans les usines russes de l’époque : « Camarades, nous ne sommes pas la société de consommation, le peuple ne devra n’en acheter qu’un , alors il doit fonctionner pendant toute la vie du camarade acheteur ! ». On était loin de l’obsolescence programmée…

    • Je confirme Olivier, c’est du costaud ! La première fois que j’ai ouvert la boite à la maison, mon épouse m’a dit : « ah non, pas d’arme à la maison ! ». Alors je lui ai montré l’appareil photo mais je ne suis pas certain de l’avoir convaincue … Et oui, les russes ont aussi fabriqué d’excellents appareils et accessoires. Il est temps de le redécouvrir, mais l’embargo, pleinement justifié, ne simplifie pas la tâche. Mes amitiés.

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