Le ЛОМО LC-A original

Voici encore un petit appareil plein d’histoires (oui, avec « s ») … vous allez comprendre pourquoi.

Tout d’abord, Lomo est l’abréviation de Leningradskoje Optiko Mechanistschéskoje Objedinénie, une usine d’armes et d’optique de Saint-Petersbourg (pour mémoire Léningrad et St Petersbourg sont la même ville, sous des régimes politiques différents).

Nous avons donc affaire à une usine d’optique et d’armement. Ce qui explique que c’est un général, Igor Petrovitch Kornitsk intégré au Ministère de la Défense et accessoirement au Conseil d’Administration de la société, qui a présenté aux directeurs de l’époque (nous sommes en 1980) un appareil photo Japonais, le Cosina CX-2, lui-même cousin assez germain d’un certain Minox 35, en leur proposant de réaliser un appareil semblable.

Il avait été frappé par la qualité optique de ce petit appareil et par son gabarit, contenu mais qui possède un système d’exposition automatique qui détermine la vitesse d’ouverture/obturation. La vitesse d’obturation va de 1/500 à 30 secondes et l’ouverture de f2.8 a f16.

Il pria donc Lomo de s’en inspirer pour produire un appareil photo russe et en 1984, les ingénieurs avaient réussi à construire un «hommage», une version fidèle mais simplifiée.

C’est en juin 1984 que commence donc la production du Lomo LC-A, pour Lomo Compact Automat, (si vous préférez en russe : ЛОМО Компакт-Автомат) au rythme de 1.100 appareils/mois.

Il reprenait l’ensemble des qualités de son inspirateur, à savoir un objectif de qualité (ici un Minitar 32mm ouvrant de f2,8 à f16), qui avait la réputation de faire « claquer » les couleurs tout en donnant un vignetage assez marqué dans les coins.

Cet appareil était essentiellement destiné au marché intérieur russe et peu connu du monde occidental … enfin, jusqu’à la chute du mur et l’effondrement de l’Union Soviétique, en 1991.

Dès ce moment, ce petit appareil n’était plus l’apanage de la clientèle soviétique, de nombreux photographes des pays alignés sur l’Union Soviétique en avaient fait la connaissance et il avait essaimé dans ces pays.

C’est ici que commence la seconde histoire.

En effet, c’est dans une boutique d’appareils photo à Prague qu’un groupe d’étudiants en art autrichien découvre un Lomo, ils en tombent immédiatement amoureux.

Ils en achètent deux et commencent à photographier avec lui mais sans aucun respect des règles, le but étant de photographier « n’importe comment ».

Et là, surprise : les photos ont un rendu extraordinaire !

Un des « trucs » du Lomo LC-A est de maintenir l’obturateur ouvert assez longtemps dans des conditions de faible luminosité, ce qui est favorable à la prise de vue à main levée même dans des conditions « limites » de prises de vue. Ensuite, l’objectif a tendance à augmenter le contraste et le vignettage, ce qui donne des images contrastées. En plus, utilisé la nuit avec un flash, il fait des merveilles car le flash fonctionne sur le deuxième rideau, qui restitue l’arrière plan d’une scène avant que le flash n’illumine l’avant

Assez rapidement, la demande de ces petits appareils explose et il devient difficile de s’en procurer car la production de l’appareil diminue (les Russes n’ont plus les moyens de s’acheter des appareils photos) et les stocks ne sont pas inépuisables. D’ailleurs la firme décide de stopper toute fabrication en 1994.

Nos étudiants autrichiens, qui entre-temps ont fondé en 1992 un mouvement (inspiré du Lo-Fi mais en photographie) appelé Lomography Society (Lomographische Gesellschaft) trouve la situation préoccupante.

Alors pour répondre à la demande toujours croissante du Lomo, ils entreprennent de négocier avec l’usine d’optique Lomo la reprise de la production de cet appareil étonnant. Après d’âpres discussions avec les dirigeants du groupe et un certain Vladimir Poutine, alors vice-maire de St Petersbourg, ils obtiennent gain de cause et la certitude de pouvoir répondre aux demandes toujours plus nombreuses.

En 1995, l’accord est scellé, même si les prix de fabrications et de production ont nettement augmenté.

Et en 1997, après avoir revu les méthodes de production afin de maintenir et la qualité et un prix raisonnable, la production est de nouveau assurée. Les Lomographistes ont fait la démonstration de l’engouement pour cet appareil, qui est apparu comme un beau moyen de communication vers l’Occident pour l’entreprise Lomo.

Une exposition des photographies réalisées aux quatre coins du monde avec cet appareil fétiche a achevé de convaincre l’usine et le sus nommé Poutine de la valeur symbolique du Lomo.

L’avenir semblait serein … las, en 2005, l’usine Lomo Optical doit cesser la production, celle-ci étant une niche de produit devenue incompatible avec leur production globale, devenue plus spécifique et de plus haute technologie.

Ni une ni deux, malgré la tuile qu’ils viennent de prendre sur le front, les Lomographes décident de reconstruire un nouveau Lomo, qui gardera les caractéristiques de l’original, augmenté de quelques nouvelles astuces

Dès 2006, ils présentent le Lomo LC-A+, le nouveau Lomo, basé comme promis sur les spécificités de l’aïeul mais augmenté de nouvelles fonctionnalités issues des suggestions faites par la communauté de Lomographes du monde entier.

Comme par exemple un commutateur pour les expositions multiples, des paramètres Iso améliorés, un filetage sur le déclencheur pour les longues expositions et, ce qui semble insignifiant au premier regard, de petites fentes sont aménagées de chaque côtés de l’objectif. Elles permettront l’ajout de nombreux accessoires intelligents (filtres, compléments optiques, etc.)

Le nouvel appareil est produit par la Lomography Society et fabriqué par Colibri, en … Chine.

Etonnant, non ? Cet appareil si discret est devenu en quelques années une vedette mondiale … tout en faisant un pied de nez colossal aux « biens pensants » de la photographie à travers l’esprit Lomography.

Pour mémoire, les dix commandements du mouvement :

1. Prends ton Lomo partout où tu vas.

2. Utilise-le tout le temps, nuit et jour.

3. La lomographie n’est pas une interférence dans ton existence, elle en fait partie.

4. Approche-toi aussi près que possible de l’objet de ton désir lomographique.

5. Ne pense surtout pas.

6. Sois rapide.

7. Tu n’as pas besoin de savoir à l’avance ce qui marque ta pellicule.

8. Tu n’as pas non plus besoin de le savoir après.

9. Déclenche à hauteur de hanche.

10. Affranchis-toi des règles.

Mais revenons au Lomo LC-A original dont le nom est inscrit en lettres cyrilliques « ЛОМО » et un petit badge CCCP au dos (parfois).

Il utilise la classification des films soviétiques Gost (en Cyrillic : ГОСТ) , assez proche mais pas vraiment alignée sur la côte ASA/ISO en faveur à l’Ouest. Ainsi, Gost 65 équivaut à 100 Iso et le plus élevé, le Gost 250 est équivalent plus ou moins au 400 Iso.

Toutefois, certains Lomo, destinés à l’exportation, utilisaient l’alphabet occidental et les paramètres Iso. Quelques uns ont même été commercialisés sous la marque « Zenit Lomo », les Zenit étant bien connu notamment du marché anglais.

Quelques appareils de l’ère soviétique apparaissent parfois sur Ebay, souvent affublés de « badges » fantaisistes pour leur donner plus de valeur.

A ma connaissance, une série spéciale de 5000 appareils a été estampillée d’un petit badge en relief sous la forme d’une bannière rouge déployée avec un cadre en bronze et des lettres. Le texte se trouve sur l’insigne à l’intérieur de la bannière, chaque mot sur une ligne distincte: «XXVIIe Congrès du PCUS » en 1986 (présidé par le président réformiste Mikhail Gorbatchev).

C’est grâce à mon ami Patrice que j’ai pu acquérir un exemplaire de cette rare série (fabriqué en 1985), que je vous présente aujourd’hui. Il est venu en ligne droite de Russie, avec sa lanière et sa petite sacoche en vrai « cuir de Russie ». Merci encore l’ami !

Bon, et il fonctionne comment le Lomo ?

Tout d’abord, il faut ouvrir la languette de protection de l’objectif et du viseur, en faisant glisser un curseur situé sous le bloc optique, ce qui anime le boitier.

C’est un appareil avec un viseur finalement très clair qui reprend dans celui-ci les quatre zones de mise au point : 0,8m – 1,5m – 3m et l’infini. Une fine « baguette » signale la distance choisie, reprise par des pictogrammes

On règle ces zones par un petit levier à gauche du bloc optique.

En choisissant une des ouvertures disponibles (de f 2.8, 4, 5.6, 8, 11, à 16), l’obturateur est bloqué au 1/60 s. Ce mode est originellement destiné à la photographie au flash. Un mode automatique (désigné par la lettre « A » parmi les ouvertures disponibles) laisse le LC-A calculer la vitesse d’obturation ainsi que le diaphragme nécessaire pour la photographie en fonction de la lumière reçue par la cellule. Pour l’utilisation de ce mode, la sensibilité du film (de 25 à 400 ASA/ISO ou 22 à 350 Gost) doit être réglée correctement à l’aide d’une molette et trois piles boutons sont nécessaires (des LR44). Un indicateur lumineux à gauche dans le viseur signale le bon fonctionnement de celles-ci. Un autre indicateur lumineux, placé à droite, signale les poses de plus de 1/30 seconde et donc un risque de sous exposition ou le besoin d’avoir recours au flash.

C’est sur la droite du même bloc, qu’il y a l’autre levier pour choisir la vitesse d’obturation et l’ouverture. Les vitesses vont de 2s à 1/500s, plus le A de l’automatisme.

Le Lomo LC-A est donc un appareil photo compact avec un système d’exposition automatique qui détermine le couple vitesse/diaphragme. Le système d’exposition permet des temps de pose en théorie jusqu’à 2 sec., mais en pratique jusqu’à 2 mn.

Comme je l’écrivais, le système d’exposition utilise trois piles SR44 ou LR44, très courantes. Qui dit automatique dit qu’il faudra veiller à avoir des piles de secours. Néanmoins, en l’absence de celles-ci, il est tout à fait possible de l’utiliser en mode manuel (mode flash) à une vitesse de 1/60 sec. et en sélectionnant le diaphragme.

L’objectif, le Minitar, a donc une plage d’ouverture de f 2,8 à f 16 pour une focale de 32mm. Il est aussi bon que celui du Cosina et garde les particularités qui ont fait son succès, cette espèce de contraste prononcé, dû au vignettage et à l’accentuation du contraste induit par la construction de l’objectif.

Enfin, en résumé, quand vous le portez à l’œil et que vous avez fait vos réglages, si vous appuyez à mi-course sur le déclencheur, une diode rouge vous signale que la batterie est ok et que vous êtes dans le bon pour déclencher. Si deux diodes s’allument, à gauche et à droite, c’est que vous êtes en sous exposition et qu’il faudrait soit un trépied, soit un mur, soit un flash pour éviter les flous de bougés … mais nous sommes chez Lomography …

Si tout est bon, vous poussez à fond sur le déclencheur, doux et discret : clic-clac, la photo est dans la boite !

Ah, et vous aurez remarqué qu’on peut lui adjoindre un moteur …

A quoi faut il faire attention si vous voulez acheter un « vrai » Lomo ?

La principale cause de panne est électronique. Si tout clignote, votre Lomo servira encore de presse papier mais plus comme appareil photo car sans électronique l’obturateur restera bloqué et le système d’exposition restera muet.

Autre chose à vérifier, les mousses, qui sont souvent HS à cet âge (comme tant d’autres appareils).

Il arrive que le Lomo ne déclenche tout simplement pas : soit les piles sont HS, soit mal insérées ou, plus embêtant, c’est que l’appareil commence à décliner et qu’il risque à plus ou moins court terme de servir de presse-papier.

Ne vous laissez pas gruger par des badges fantaisistes, qui ont tendances à faire grimper les prix. Mais je n’ai pas réussi à trouver sur le Net un quelconque récapitulatif des séries spéciales « officielles ». Si quelqu’un a le tuyau, je suis preneur …

En ce qui me concerne, j’ai juste un regret : la lecture de la fenêtre du Gost (Iso/Asa) n’est pas très facile, je ne distingue pas bien les chiffres. Je crois que j’ai réussi à le caler sur 130 Gost, ce qui correspond peu ou prou au 200 Asa. Je verrai à l’expérience ce que cela donne.

Au niveau utilisation, c’est bien plus agréable qu’un Minox 35 (oui, je sais, je vieilli) car les commandes sont plus lisibles et il bénéficie d’un automatisme qui simplifie la prise de vue. Ici vous travaillez en « zone focus » et l’appareil fera le reste pour la prise de vue.

Il se glisse dans toutes les poches et la protection de son viseur/objectif est réelle, ce qui est un vrai plus.

Lorsque vous l’avez en mains, vous pouvez déclencher à la sauvette sans soucis, il se manipule aisément dans toutes les positions et – surtout – il sait rester (très) discret : le déclencheur émet un clic à peine audible (on dirait du Leica, si, si !) et le réarmement ne fait guère plus de bruit.

Qu’en est-il du prix ?

Si vous achetez un nouveau Lomo LC-A+, produit par Lomography, il vous en coûtera dans les 249€. En occasion, comptez quand même dans les 90 à 160€, sauf si vous passez par le site russe Mezok (traducteur obligatoire) ou par PhotoLubitel (idem car aussi en russe) où vous pouvez espérer faire de meilleures affaires mais attention, les vendeurs russes ne proposent que du matériel qui fonctionne (!?).

Si je résume : soit vous cherchez un appareil fiable avec quelques améliorations et vous prenez le Lomo LC-A+, soit vous aimez l’aventure (et les surprises) et optez pour un « vrai » Lomo. A chacun sa philosophie, vous connaissez la mienne.

Sachez aussi qu’il existe maintenant un Lomo LC-A+ qui utilise du film en 120mm, mais nous sortons du sujet !

Et Lomography offre une quantité étonnante d’accessoires utiles ou futiles pour combler votre Lomo LC-A+ (faites attention, les compléments optiques ne fonctionnent pas sur l’original car son objectif n’est pas prévu pour).

Petite video d’illustration

Des exemples de photos et des commentaires sur l’appareil LA

Pour le mode d’emploi, c’est par ICI

Quelques références : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lomo_LC-A, https://www.lomography.com/magazine/321700-lomo-lc-a-moments-partie-1-lomography, http://35mm-compact.com/minicompact/lomolca.htm en français, https://en.wikipedia.org/wiki/Lomo_LC-A, https://kosmofoto.com/2017/06/lomo-lc-a-cameras-lc-wide-lca-120/, https://microsites.lomography.com/lca+/history/ en anglais, https://www.lomography.it/magazine/321818-lomo-lc-a-moments-part-2 en italien, http://www.diariodeunpixel.com/2018/06/lomo-lc-a/ en espagnol

A titre indicatif, voici la comparaison entre les ISO/ASA/Gost

ISO arithmetic scale
+ ASA scale
ISO log scale
+ DIN scale
GOST
(Soviet pre-1987)
Example of film stock
with this nominal speed
6 original Kodachrome
810° Polaroid PolaBlue
1011° Kodachrome 8 mm film
1212°11Gevacolor 8 mm reversal film
1613°11Agfacolor 8 mm reversal film
2014°16Adox CMS 20
2515°22old Agfacolor, Kodachrome 25
3216°22Kodak Panatomic-X
4017°32Kodachrome 40 (movie)
5018°45Fuji RVP (Velvia)
6419°45Kodachrome 64, Ektachrome-X
8020°65Ilford Commercial Ortho
10021°90Kodacolor Gold, Kodak T-Max (TMX), Provia
12522°90Ilford FP4+, Kodak Plus-X Pan
16023°130Fujicolor Pro 160C/S, Kodak High-Speed Ektachrome
20024°180Fujicolor Superia 200
25025°180Tasma Foto-250
32026°250Kodak Tri-X Pan Professional (TXP)
40027°350Kodak T-Max (TMY), Tri-X 400, Ilford HP5+
50028°350 
64029°560Polaroid 600
80030°700Fuji Pro 800Z
100031°700Kodak P3200 TMAX, Ilford Delta 3200 (see text below)
125032°  
160033°1400–1440Fujicolor 1600
200034°  
250035°  
320036°2800–2880Kodak T-Max (TMZ)
400037°  
500038°  
640039°  
source : http://www.photographers-resource.co.uk/photography/exposure/Ref_iso.htm

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