Le Polaroid SX-70, l’original

Eh oui, j’en ai trouvé un, grâce à un vendeur sympa – il se reconnaîtra – de la bourse Occaphot 2022.

A un prix intéressant, c-à-d. réaliste car les prix s’envolent pour le moment pour ces appareils, qu’on redécouvrent et que certains s’ingénient à vendre chers, très chers (j’en ai vu à 250€ soi-disant « refurbished » – remis à neuf, en français).

Et, cerise sur le déclencheur, ce charmant monsieur m’a aussi vendu à prix décent deux films en format Spectra. Avec eux, je vais pouvoir essayer les Polaroid Image et Elite que je vous ai présentés. J’y reviendrai.

Collectionneur et utilisateur Polaroid, il fut une référence lors de cette journée et une mine de renseignements.

Ah, j’aurais bien craqué pour un SLR 680 mais j’avais décidé – une fois n’est pas coutume – de rester raisonnable dans mes achats. Le SX-70 fut d’ailleurs le seul appareil acheté ce jour-là, je n’en reviens pas moi-même.

Heu … en fait, il ne l’avait pas avec lui ce 680, ouf !

Mais revenons à ce Polaroid SX-70.

Vous le savez, l’histoire de Polaroid mériterait un film tant elle est riche et son fondateur Edwin Land, un personnage de roman.

Alors, si vous vous en souvenez, en 1943, selon la légende, il décide d’inventer un appareil et un film instantané pour répondre à la question de sa petite fille, qui aurait bien voulu voir immédiatement les photos prises.

Après des études, des tests et des essais, en 1948, il lance le premier appareil, le Model 95. C’est un appareil avec un film en rouleau, qui se développe instantanément après la prise de vue.

Pour la petite histoire, c’est grâce à Kodak qu’il peut développer ce type de film. Kodak n’y croyait pas trop et décida de l’aider. Bien mal leur en pris car Land ne reconnu jamais le crédit de cette aide et tout le monde a en tête le long procès qui a opposé les deux firmes dans les années quatre-vingt et qui se terminera en 1990 par la défaite cuisante de Kodak. Non seulement ils devront payer un milliard de dollars de dommages et intérêts mais ils auront l’obligation de non seulement cesser toute fabrication d’appareils et de films instantanés mais aussi de retirer du marché tout ce qui aura été produit et vendu en ce sens.

Mais laissons-là ces tristes évènements pour en revenir à la production des appareils issus du cerveau de ce génial inventeur.

Car il allait révolutionner une fois de plus le paysage photographique en inventant non seulement un appareil inédit mais aussi le film qui allait avec : le SX-70 et le premier pack film intégral du même nom.

Commençons par le film : il contient les futures photos, la chimie pour les développer et la pile pour alimenter l’appareil. Cette pile de 6v assure la fonction du flash, la motorisation du boitier, y compris l’éjection des photos. Calibrée juste pour cet usage, elle s’épuise (presque) en même temps que le film se termine et on la renouvelle à chaque nouveau pack de 10 vues (enfin, huit avec les nouveaux films de la nouvelle société Polaroid !).

Petite parenthèse en passant à ce sujet : pensez à mettre vos cassettes de film Polaroid vides dans les containers prévus pour les piles, ne les jetez jamais à la poubelle, notre bonne vieille Terre vous remercie.

Plus de 500 opérations chimiques se succèdent pour assurer le développement de la photo captée, tout ça sur l’épaisseur (quasi) d’une feuille de papier photo. Un exploit et une réussite totale.

Nous sommes en 1970 et l’avenir est prometteur. Edwin Land fait construire plusieurs usines pour assurer la fabrication et de ces films et des appareils : la légende est née une seconde fois.

Car le nouvel appareil est aussi une révolution, au sein même de la gamme des boitiers existant : Land réussit l’exploit de se réinventer et de créer l’évènement.

Lors d’une réunion annuelle de l’entreprise en avril 1972, il a sorti un SX-70 plié de sa poche de veste de costume et en dix secondes, il prit cinq photos, chose qui aurait été impossible avec les appareils précédents.

Arrêtons-nous un instant sur l’évolution des modèles pour mieux comprendre mes propos :

  • le premier appareil fut le Modèle 95, qui utilisait un film en rouleau (1948 – 1965). Il connu une descendance comme les Modèle 95b, 100, 110, 120, …. jusqu’au Modèle 900
  • une première révolution fut l’introduction des « pack film » des séries 80 et 100 et les appareils de la Série 100 à 400 (1963 – 1977). Ces pliants ont aussi introduit le premier obturateur électronique lié à l’analyse de la cellule dans un appareil photo produit en série.
  • seconde révolution avec l’apparition, en 1972, des appareils SX-70, qui utilisent aussi un « pack film » du même nom. Ces pack film sont dit « intégral » car ils intègrent le film, la chimie et la pile nécessaire au fonctionnement de l’appareil. Ces appareils seront produits jusqu’en 1979 sous la forme de pliant, mais une autre série qui ne présente plus cette forme (folding), utilisant aussi le film SX-70, sera produite jusqu’en 1985
  • apparition de la série 600 en 1981, qui utilise aussi un pack film dit 600 (en référence à la sensibilité de celui-ci). Elle connaîtra aussi une longue descendance et s’éteindra au seuil des années 2000, avant d’effectuer une incroyable résurrection d’abord grâce à Impossible Project en 2008. Impossible Project qui re-deviendra Polaroid en 2018 et continuera à produire des appareils appelé One, mais c’est une autre histoire.

Si vous voulez en découvrir plus, je vous recommande l’excellent site « The Land List« , en anglais.

Est-ce plus clair maintenant ?

Alors, on continue avec la découverte de cet incroyable SX-70.

Fin 1972, c’est à Miami (Floride) que l’appareil est d’abord vendu puis il le sera à travers tous les USA dès l’automne 1973. Malgré un coût élevé et une production encore limitée, Polaroid a vendu 700.000 appareils dès la mi 1974. Le début d’une longue histoire …

Tiens, une anecdote : en 1973-1974, les astronautes du Skylab 3 et 4 ont utilisé un SX-70 pour photographier un écran d’affichage vidéo afin de pouvoir comparer les caractéristiques du Soleil d’une orbite à l’autre. Petit coup de pouce au marketing pour propulser l’appareil au firmament des boitiers mythiques !

Ce qui frappe le plus c’est sa forme : un parallélépipède d’à peine 4cm de haut qui se déploie en un instant et qui propose, en plus, une vision reflex.

Ce design est dû à Henry Dreyfuss, une réussite qui correspondait à la nouvelle vision d’Edwin Land : proposer un Polaroid éminemment transportable et efficace.

Un autre couple de designers célèbres, Charles et Ray Eames ont réalisé une video pour présenter et expliquer le fonctionnement de ce nouvel appareil. Elle aussi, un petit bijou que vous pouvez découvrir ci-dessous.

Tout d’abord, un peu de technique car elle sera commune à tous les appareils photo pliables SX-70 :

  • un objectif en verre de 116 mm f/8 à 4 éléments
  • une mise au point minimale de 30cm environ (10,4 pouces)
  • une mise au point de la cellule avant via une roue dentée en haut du boîtier de l’objectif/de l’obturateur
  • un obturateur électronique
  • l’exposition automatique programmée avec des vitesses d’obturation de 10 sec à 1/175s
  • une plage d’ouverture de f/8 à f/22
  • l’appareil choisit les ouvertures les plus petites possibles lorsque le flash est utilisé.
  • l’exposition au flash automatique basée sur la distance de mise au point
  • la distance maximale du flash est de 6m (20 pieds).
  • le boitier possède une prise Flashbar intégrée pour le flash. Des flashs électroniques accessoires étaient également disponibles.
  • une prise pour un déclencheur électrique à distance.

Quelques variantes plus tard, des subtilités apparaitront mais sans changer fondamentalement l’âme du premier opus.

Celui que j’ai acheté est un SX-70 Modèle 2, sorti en 1974. Contrairement à ce que j’ai pu lire, le corps de celui -ci n’est pas en plastique mais en métal noir (un aimant s’y est collé par hasard !), avec un revêtement en faux cuir noir qui a tendance, avec l’âge, à se faire la malle. Mais Aki-Asahi est là aussi d’une grande aide si vous voulez redonner son lustre d’antan à votre protégé.

Cet appareil a séduit nombre de grands photographes. Nous pouvons citer Ansel Adams, Andrej Tarkovsky et Andy Warhol, qui exhibait volontiers le sien, ou plutôt les siens, car il en avait plusieurs (un de ceux-ci s’est retrouvé sur Ebay en 2013 et il est parti au prix fou de 50.000$). Il fut sans doute le meilleur ambassadeur de cet appareil et le garant du mythe d’un boitier déjà excellent.

-« Bon, c’est bien tout ça, mais comment fonctionne ce grand rectangle noir (pour le mien en tout cas) ? ».

Sur le dessus, légèrement en surplomb, le viseur, sur lequel il faut tirer doucement pour libérer l’ensemble du mécanisme d’ouverture.

Ici, le soufflet est en caoutchouc, d’une seule pièce.

Le viseur, donc, et constitué d’un verre de visée escamotable, qui traverse le dessus du capot pour aboutir dans un prisme – oui, oui, comme sur un reflex – où vous trouvez un stignomètre à coïncidence. Vous réglez la visée avec une roue dentée placée juste au dessus du déclencheur orange, en façade.

Grâce à ce viseur – le premier sur un appareil instantané – vous voyez vraiment ce que vous voulez capter. Pour les autres, il faut toujours tenir compte d’un léger décalage entre la visée et la photo prise, sans correction de parallaxe dans le tunnel de visée.

Une fois ouvert, tout est immédiatement à portée de doigts même s’il faut bien reconnaitre que la position pour bien utiliser le viseur n’est pas tout de suite facile à appréhender (il faut tâtonner un peu pour bien se placer en face de celui-ci).

Toute modification de la distance se répercute dans la viseur, en direct.

Toutefois, vous pourriez, grâce aux indications notées sur l’objectif, pré-régler la distance à l’avance.

Le SX-70 Sonar One Step fera encore mieux avec la mise au point automatique, en 1978.

Ah, j’allais oublier le réglage habituel « clair/sombre », a ajuster avec une molette crantée, à gauche de l’objectif mais dont le réglage ne se voit pas dans le viseur. Toujours délicat à manipuler ce truc !

Comme tout Polaroid, il aura besoin d’un flash, qui sera un « Flashbar » de 10 ampoules, qui se monte dans une fente prévue à cet effet, au dessus de l’objectif. On en trouve encore mais ce n’est pas évident.

Alors on peut aussi y monter un flash électronique, le Polatronic. Ce flash externe est monté sur une poignée qui se connecte à l’appareil photo via la prise Flashbar. Le support de caméra inclus sert également de support de trépied, bien utile car l’appareil n’en possède pas.

Donc, vous l’avez ouvert, mis un film dedans – il suffit d’appuyer sur le bouton jaune avec une flèche vers le bas, à droite du boitier pour ouvrir le compartiment, trouver comment vous positionner pour viser, appuyer sur le bouton orange en façade et clic – bzzz- rrrr, la photo sort toute seule !

Comme d’habitude, vous ne la secouez pas et vous la retournez face vers le bas, à l’abri de la lumière le temps du développement complet (et s’il fait froid, vous la mettez dans une poche ou une boite, au chaud).

C’est un reflex très facile et peut encombrant finalement : moins de 5cm de haut, les vitesses d’obturation sont calculées automatiquement (de 1/175s à 10s), ainsi que l’ouverture (de f8 à f22).

A l’arrière du boitier, discret, un petit compteur de vue qui indiquera immanquablement « 10 » au moment de glisser un nouveau film, et qui se fera piéger car les nouveaux films ne comptent plus que 8 vues.

Il faut savoir qu’il y aura toute une série d’accessoires prévus pour les SX-70 pliant, comme des compléments optiques, des filtres, des supports pour gagner un filetage pour trépied, un flash électronique (je l’ai cité plus haut), un déclencheur filaire, etc. Bref, un « système » complet qui fit partie de son succès … assez difficile à trouver (à prix raisonnable) de nos jours.

Pour le plaisir, je vous mets en perspective le Polaroid Model 320, un 600 OneStep des années 2000 (avant la faillite), histoire de juger de l’encombrement, fermés et ouverts.

Ceci étant, si cet appareil tranche singulièrement avec la production des Polaroid et qu’il introduit le principe du reflex, inédit sur ces appareils, il n’en reste pas moins que sa manipulation requiert un peu d’habitude et quelques précautions car il n’est pas évident à tenir en mains.

Juste un peu d’habitude à prendre …

Alors, ce fameux Polaroid SX-70 vaut-il les prix délirants que l’on rencontre de nos jours ?

Oui, … et non.

Oui car il offre un confort de visée inégalé sur un Polaroid (avec un peu d’entrainement toutefois).

Oui car il est toujours utilisable si on ne l’a pas maltraité auparavant (à vérifier lors d’un achat), le film SX-70 étant encore produit, comme par exemple chez Retrocamera, en couleur ou N/B.

Oui car il est réellement peu encombrant (il n’est pas plus grand que le Lomo Instant Wide mais plus fin lorsque fermé) sans être vraiment un champion de la miniaturisation.

Oui car son design le rend particulier et reste innovant, 50 ans plus tard.

Non car il n’est pas facile à prendre en mains sans un minimum d’entrainement.

Non car il n’y a pas de flash intégré, il faut faire appel à des FlashBar ou un flash externe, et ceux-ci ne sont pas faciles à trouver et chers.

Non car la version la plus « automatique », la version SX-70 Sonar OneStep ou la SX-70 Autofocus, avec le sonar pour l’autofocus (mais toujours sans flash) est hors de prix (or on estime qu’ils furent produit à plus d’un million d’exemplaires).

-« Alors, finalement, j’achète ou pas ? »

Si j’arrive à en trouver un, en bon état, c.-à-d. avec les coverings à changer (environ 20€ chez Aki-Asahi) mais mécaniquement impeccable, à environ 100€, alors oui (comme ce fut le cas de cet exemplaire).

Si j’arrive à en trouver un en excellent état, c.-à-d. avec le covering en état impeccable et mécaniquement impeccable à environ 130€, alors … oui.

Tous les autres prix sont surfaits, disons le tout net !

Mais, dit-on communément, « quand on aime on ne compte pas ! » Funeste erreur qui encourage la spéculation sur certains modèles comme le SRL 680 à 500€ (mais il n’y a pas que chez Polaroid que la folie gagne).

A vous de voir mais reconnaissons que cet appareil fait partie des légendes, encore utilisables de nos jours, de la photographie.

Des pubs d’époque

Video promotionnelle d’époque (1972)

Video d’illustration


Et si vous deviez le démonter … ou le transformer (deuxième partie, pour utiliser des films i-Type, mais c’est du bricolage).

Pour le mode d’emploi, c’est par ICI et ICI en français.

Des exemples de photos LA et LA encore.

Des références : https://fr.wikipedia.org/wiki/Polaroid_SX-70, https://www.polaroid-passion.com/appareils-format-SX-70.php?id=48, https://www.leshopretro.com/blog/appareil-mythique-le-sx-70, https://www.lesnumeriques.com/photo/polaroid-sx70-et-films-impossible-project-pu115773.html, https://photovideotrend.com/avis-sur-polaroid-sx-70-test-et-prix/, https://en.polaroid-passion.com/forum/viewtopic.php?t=132, https://www.collection-appareils.fr/x/html/page_standard.php?id_appareil=475, https://www.collection-appareils.fr/x/html/appareil-4414-Polaroid_SX-70%20Alpha.html, https://www.danstacuve.org/test-du-polaroid-sx-70-alpha1-model2/, en français; https://www.analog.cafe/r/polaroid-sx-70-ycmp, https://en.wikipedia.org/wiki/Polaroid_SX-70, http://camera-wiki.org/wiki/Polaroid_SX-70, http://www.landlist.ch/landlist/landdcam-sx70.htm#SX70, https://support.polaroid.com/hc/en-us/articles/115012463268-Polaroid-SX-70-series-cameras en anglais; https://internoinbakelite.wordpress.com/2017/02/04/la-pietra-miliare-polaroid-sx-70/ en italien

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