Le Zorki 3M

Celui-là, ça faisait un moment que je le cherchais et un heureux concours de circonstances a fait que j’ai pu l’acquérir encore à un prix décent sur la grande baie.

Pourquoi celui-là plus particulièrement ? Parce que j’ai déjà essayé et apprécié le Zorki 1c, tout comme le Zorki 4K mais que je cherchais encore une espèce de « chainon manquant » entre ces deux modèles.

En effet, si le Zorki 1C est un télémétrique dans la veine du Leica II (même type de viseur séparé du télémètre, même chargement par la semelle), le Zorki 4/4K avait déjà des airs de télémétrique « moderne » avec son viseur/télémètre et son chargement par le dos.

-« Et le Zorki 3 alors ? »

Ah, il me plaisait bien aussi pour sa spécificité, sur laquelle je vais revenir, mais sa fiabilité (obturateur complexe) en font un appareil plutôt de collection et moi je voudrais m’en servir réellement. Restait donc le Zorki 3M, une évolution logique du premier du nom.

Mais commençons par le début, ce sera plus simple …

Le gros « défaut » des appareils tels les Leica Ur, Leica II et Leica III (toutes versions confondues), outre le chargement par la semelle, était que le viseur proprement dit et la fenêtre du télémètre étaient séparées. Surtout pour des raisons techniques car allier les deux en un seul élément était très compliqué à réaliser.

Le Zorki 3 fut une grosse évolution du Zorki 1c et 1d, qui étaient encore produit au même moment. Et, chose étrange, il fut produit avant le Zorki 2 qui était une évolution des deux premiers cités (il apportait deux œillets pour assurer le portage !).

Dans la forme, il ressemble plus au Leica III, qui lui garde encore les deux fenêtres distinctes.

Source : Soviet Cameras

Le Zorki 3 sera produit de 1951 à 1956. Il introduira trois (r)évolutions majeures et injustement méconnues ou en tout cas occultée par le grand rival, Leica.

La première révolution sera de combiner le viseur et le télémètre dans une seule et même fenêtre. Cette simplification apporte un confort indéniable à la visée car il ne faut plus regarder d’une fenêtre à l’autre, une fois pour la distance (télémètre), l’autre pour le cadrage. D’autant que le viseur est large et très clair, ce qui rend les choses plus facile en cas de faible luminosité.

Pour rappel, l’appareil est présenté en 1951 soit trois ans avant le Leica M !

La seconde évolution, se sont les vitesses qui vont d’1s au 1/1000s, même avec un obturateur à rideau, comme le concurrent. Atteindre le 1/1000s au début des années cinquante est une prouesse que peu d’appareil de l’époque pouvait atteindre.

La troisième évolution est que tout le dos de l’appareil s’ouvre. On peut donc facilement charger le film, sur une bobine réceptrice, sans devoir couper l’amorce, comme on doit le faire avec les appareils qui se chargent encore par la semelle. Mine de rien, cette amélioration accélère encore l’utilisation de l’appareil.

Enfin, ultime modification, le Zorki 3 reçoit en dotation un objectif Jupiter-8 de 50mm ouvrant à f2. Cet objectif, basé sur une formule Sonnar (les Industar sont sur un schéma Tessar), offre une grande ouverture qui autorise l’utilisation de film moins sensible à la lumière même dans des conditions d’éclairage plus faibles.

Petit détail mais qui a son importance, le viseur est équipé d’un correcteur dioptrique. Les porteurs de lunettes lui disent merci, ils ne devront plus griffer leurs précieux verres sur les bord métalliques du viseur.

Si ce boitier est excellent, il a encore un défaut, celui de disposer les vitesses sur deux plateaux différents : les lentes avec une molette située sur la face avant et les rapides sur le capot. C’était toujours un mécanisme sensible qui méritait une amélioration.

Ainsi est né le Zorki 3M, qui sera produit de 1954 à 1956. Il propose lui toutes les vitesses sous un même bouton, ce qui simplifie la « mécanique » interne et rend l’ensemble plus fiable que précédemment. Il propose les vitesses suivantes : 1/25s, 1/50s, 1/100s, 1/250s, 1/500s et 1/1000s de seconde plus une pose bulbe (B)

Reste une précaution que vous devrez toujours garder en mémoire, voire noter sur un bout de papier au dos de votre boitier si vous ne vous en servez pas très souvent : toujours armer l’appareil avant de changer les vitesses sous peine de salade de pignons rédhibitoire.

Il sera suivi d’un Zorki 3C qui apportera juste un retardateur en plus et une prise pour le flash. Sa carrière fut très courte (1955 – 56) et le suivant sera le Zorki 4. Le design du 3C est d’ailleurs déjà plus éloigné du Zorki 3/3M et proche du Zorki 4.

Source : Soviet Cameras

En résumé, la légende prétend que c’est Leica qui a inventé le viseur couplant la visée et le télémètre avec le Leica M, en 1954.

Or, dès 1951, les ingénieurs russes de KMZ (Krasnogorskiy Mechanicheskiy Zavod à Moscou) proposaient un viseur/télémètre couplé au rapport 1:1 sur le Zorki 3 (sa base est de 38mm, ce qui est loin d’être ridicule).

Oui, les Zorki et les Fed ont été des copies du Leica II mais il ne faut pas les réduire à cette caricature de copistes serviles. Les appareils qui ont suivi se sont éloignés de l’univers Leica pour proposer leurs propres solutions, parfois en avance sur l’initiateur, ne l’oublions pas.

Soyons de bon compte, si le viseur est au rapport 1:1, il est calibré pour le 50mm et il n’est pas collimaté, il est « plein cadre ». Si vous deviez y placer un autre objectif qu’un 50mm, il n’y a pas de marques pour les 35mm ou 90mm comme elles apparaitront plus tard sur le Leica M ou le Canon P, p. ex. Dans ce cas là, une tourelle est toujours utile.

Reste que l’on pourrait ergoter encore sur la rusticité des appareils russes, moins « lises » que leurs concurrents allemands, mais ça ne les a jamais empêché de bien fonctionner et d’être tout aussi réparables que leurs homologues teutons.

De fait, les appareils russes des années cinquante seront toujours mieux construits et plus fiables que ceux des années septante et quatre-vingt, alors que le régime soviétique s’effondrait. Oleg Khalyavin, un expert en réparation d’appareils photo soviétiques, qui dirige OK Vintage Camera, ne nous contredirait pas.

La date de fabrication est reprise sur le numéro de série, ici, 1955.

Pour en revenir à notre Zorki 3M, vous avez remarqué qu’il possède une griffe porte-accessoires mais il n’y a pas de prise pour un flash quelconque. Elle apparaîtra sur le Zorki 3C. Peut-être est-il possible de faire une modification, comme sur les … Leica que l’on faisait évoluer sans changer de boitier.

Les Zorki télémétriques sont sans aucun doute les télémétriques les plus vendus dans le monde, construits de 1948 à 1978 à plusieurs millions d’exemplaires (tous modèles confondus). Ceci explique sans doute pourquoi on n’a pas pris la peine de ces transformations : il était plus facile et moins couteux de changer de boitier !

Celui que j’ai acheté est équipé d’un objectif Industar 61 55mm f2,8 noir, vraisemblablement de 1988 mais j’ai retrouvé un Jupiter 8 50mm f2 daté de 1968. Même s’il n’est pas parfait, c’est finalement lui qui équipera le Zorki 3M.

Sa prise en main est agréable et même s’il est compact, il fait son poids (671gr avec un film, les deux attaches de la sangle et un soft release).

J’apprécie beaucoup la correction dioptrique, qui me facilite bien la vie. Facile à régler, j’ai tracé un trait au marqueur, au cas où elle bougerait.

J’imagine que pour les grandes mains il peut sembler petit. Pour ma part, je le trouve bien équilibré et même si nous sommes loin de l’ergonomie des appareils modernes, tout tombe bien sous les doigts. Sachant d’ailleurs que l’on ne manipule pas cet appareil comme les modernes : on vise et cadre en un seul coup d’œil mais pour les vitesses et l’ouverture, on les règle avec une cellule à main, ou l’habitude (voire encore la bonne vieille règle du Sunny 16). Ce qui implique qu’il faut, au mieux, prérégler ces données avant de faire son image.

Cela peut semble fastidieux mais on s’y fait très vite.

Ce ne fut pas facile de placer un film dans la chambre. En effet, la bobine réceptrice, qui est amovible mais doit être présente lors de l’achat, a tendance à bouger et la minuscule fente – en fait une fine plaque de métal rivée sur le tube avec un tout petit espace pour y glisser l’amorce – n’est pas la plus aisée pour y fixer le film. Mais ce doit être une question d’habitude et j’y suis parvenu avec un peu de patience (grrrr … vive les « baguettes magiques » des Pentax !).

Lorsque le film sera terminé, je devrai faire tourner la petite languette, à côté du déclencheur, sur la position R pour rembobinage, et celui-ci s’opère grâce à la molette qui est dessus du correcteur dioptrique.

Ah oui, j’ai placé un bouton « soft release » sur le déclencheur car le fut est assez petit et je ne le sens pas assez.

Je dois encore trouver un bouchon d’objectif (diamètre 39mm) et refaire ma collection de filtres (jaune, rouge, vert) car je compte dédier cet appareil au N/B plus spécifiquement.

Il me reste à le tester et la suite au prochain film …

Alors, si vous voulez vous lancer dans l’achat d’un tel appareil, je dirais « mais quelle bonne idée ! ».

Toutefois si vous en avez l’occasion, testez-le à toutes les vitesses, vérifiez si les rideaux sont en bon état, que la bobine réceptrice est bien présente, que le « plot » de réglage du télémètre (dans la chambre) est fluide, que le télémètre est juste (on sait le régler, des tutos existent à ce sujet) et … faites-vous plaisir, il le vaut bien !

Attention au budget. Si on pouvait en trouver, avant la tristesse de ce qui se passe encore aujourd’hui en Ukraine, à des prix décents, ils ont tendance à s’envoler de nos jours. Comptez entre 90 et 150€ pour un bel exemplaire, nu le plus souvent.

Une dernière chose : le Zorki 3M utilise des objectifs au pas dit LTM 39 (comme Leica), ce qui vous ouvre un vaste parc optique.

Et pas seulement chez Leica, mais aussi Canon, Nikon, Voigtländer, etc. Les prix sont parfois astronomiques, faites attention. Un Industar 61, moins bien côté, fait un très bon travail et vous donnera entière satisfaction et si vous voulez gagner en compacité, l’Industar 22, objectif rentrant, est parfait

Quelques exemples de photos prises avec le Zorki 3M ICI.

Quelques vidéos d’illustration :

Des références : https://sovietcameras.org/zorki-2/, https://sovietcameras.org/zorki-cameras/(pour voir la lignée des appareils e leur chronologie), https://sovietcameras.org/zorki-3/, https://kosmofoto.com/2021/01/read-this-before-you-buy-a-soviet-camera/, http://camera-wiki.org/wiki/Main_Page, https://camerapedia.fandom.com/wiki/Zorki-3M en anglais; https://fr.wikipedia.org/wiki/Zorki, en français

2 commentaires sur “Le Zorki 3M

    • Bonjour Nic, tout à fait d’accord avec toi : une esthétique entre le vieux Zorki 1c et le Zorki 4 moderne. Toutes mes amitiés.

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