Le Ihagee Exa II

Pour une fois ce n’est pas un appareil trouvé sur une brocante mais dans les trésors que possèdent mon ami Pierre que j’ai acquis cet Ihagee Exa II.

Si vous vous en souvenez, je vous ai déjà présenté quelques boitiers de cette marque, comme le Ihagee Exa Type 6, l’Exata Varex IIA. Ils ont toujours un petit quelque chose d’étrange, d’anachronique mais ils font partie de l’Histoire de la photographie car le premier reflex fut un Ihagee, l’Exakta en 1936.

Ah ça veut dire qu’un peu d’histoire est nécessaire pour apprécier cette drôle de machine.

Je ne vais pas tout reprendre (ce serait très long et tout le monde n’aime pas l’Histoire) mais pour les plus curieux je vous recommande le site de la marque : Ihagee.org. Croyez-moi, on peut faire un film (un « biopique » comme on dit de nos jours) sur le fondateur, Johan Steenbergen.

En quelques mots : la société Ihagee a été fondée à Dresde, en Allemagne, en 1912 par Johan Steenbergen, originaire de Meppel, aux Pays-Bas. À l’origine, l’entreprise s’appelait « Industrie – und – Handelsgesellschaft ».

Plus tard, l’abréviation IHG a été écrite comme il se prononce en allemand : « eehahgay » et cela a été incorporé dans le nom officiel, soir Ihagee.

L’entreprise a produit de nombreux type d’appareils photos, la plupart assez originaux mais aussi quelques raretés, comme un reflex à soufflet avec une lentille unique qui se repliait de manière singulière (brevet Klappreflex). Elle fabriquait aussi des soufflets, des bagues d’extension pour la macrophotographie, des adaptateurs pour microscopes, des flashs, des agrandisseurs mais pas d’objectifs, toujours fournis pas des sociétés tierces.

C’est l’Exakta, reflex mono-objectif compact (Standard-Exakta ou Vest pocket Exakta) pour film en rouleau apparu en 1933 qui lance la renommée, mondiale, de l’entreprise.

En 1936, le Kine-Exakta est le premier reflex mono-objectif qui utilise le format 135. Première mondiale s’il vous plait ! Dévoilé à la Foire du Printemps de Leipzig, le Kine Exakta était un appareil photo étonnamment moderne : il disposait d’un obturateur à plan focal capable d’atteindre le 1/1000 s, d’un enroulement de film à levier avec armement automatique et d’une monture d’objectif à baïonnette.

Mais la seconde guerre mondiale, encore elle, va tout bouleverser : marié à Elisabeth Louisa Nussbaum, américaine mais d’origine juive, Johan Steenbergen, pourtant Consul honoraire des Pays-Bas à Dresde sera brièvement arrêté. Refusant de collaborer avec l’ennemi, tous ses biens seront confisqués, y compris ses usines. Ils parviennent à quitter l’Allemagne et à se réfugier aux Etats-Unis en 1942. Il ne reverra jamais Dresde ni ses usines !

En effet, afin de démoraliser les Allemands, en février 1945, la Ville de Dresde sera anéantie sous les bombes alliées. L’usine Ihagee sera détruite. Seules quelques machines et quelques pièces, stockées ailleurs, ont été récupérées quelques mois plus tard, ainsi que ce qui put être sauvé des ruines.

La guerre terminée, Ihagee ne produit plus que des modèles Exakta et ensuite Exa.

L’Exakta de 1950 sera le premier appareil photo de petite taille doté de viseurs interchangeables. Cet appareil sera produit, finalement, de 1936 à 1969, avec de nombreuses améliorations au fil du temps. Reste que tous les objectifs produits sont compatibles avec tous les modèles.

Seconde tuile qui arrive cette fois de la partition de l’Allemagne d’après guerre : Dresde est maintenant en Allemagne de l’Est et le gouvernement de l’époque fera tout pour couler cette entreprise dont le patron reste un étranger et ne peut être nationalisée. Finalement, elle sera absorbée par le VEB Pentacon en 1968.

Steenbergen, revenu en Allemagne de l’Ouest, a bien essayé de récupérer son entreprise, en vain. Il a créé Ihagee West et intenté nombre de procès contre Ihagee East (l’original, restée à Dresde donc). Sans grands résultats, sauf que l’Exakta dut s’appeler « Elbaflex » à l’Ouest et « Ihagee aus Dresden » à l’Est.

La troisième attaque viendra du pays du Soleil Levant : les Japonais inondaient le marché de leurs reflex, innovants, fiables et vendus à des prix intéressants. L’usine d’Ihagee a d’ailleurs essayé d’en importer certains sous le nom d’Exakta, mais sans succès. Pour mémoire, l’Asahiflex IIb de 1954 était doté d’un miroir à retour instantané, le révolutionnaire Nikon F sortait en 1959, et quatre ans plus tard, le Topcon RE Super introduisait la mesure TTL, une fonctionnalité dont aucun appareil photo Ihagee – pas même les modèles beaucoup plus récents – ne pouvait se vanter.

Finalement, Ihagee West fermera ses portes en 1976. Le fondateur, Johan Steenbergen est décédé lui en 1967.

La saga de cette histoire peut être téléchargée ici.

Quand j’écrivais qu’il y avait matière à un film …

Bon, revenons aux appareils proprement dit. Si l’Exakta reste le haut de gamme, complexe mais attachant, l’Exa est un produit plus simple, destiné aux amateurs moins fortunés.

L’Exa a été produit en quatre versions principales : l’Exa original, dit zéro, produit de 1951 à 1962, l’Exa I (1962 à 1977) et l’Exa II (1960 à 1969). Ceux-là utilisent la monture d’objectif Exakta Par contre, les Exa Ib et Ic, produit de 1977 à 1987, utilisent une monture M42.

Ensuite, tant qu’à compliquer la vie des collectionneurs, autant en remettre une petite couche car certains modèles Exa Ia étaient aussi appelés VX100 ou Exakta 100 alors que certains modèles Exa II étaient appelés VX500 ou Exakta 500.

Bref, avant de devenir fou, arrêtons-nous à ce modèle en particulier, l’Exa II.

Ce qu’il garde de ses ancêtres, c’est cette forme particulière, trapézoïdale, la monture Exakta et le déclencheur sur la face avant, à … gauche !

Ce qui change fondamentalement c’est qu’il n’a plus de prisme interchangeable mais un prisme fixe sous un capot en métal et son obturateur n’est plus « à clapet » – comme sur l’Exa type 6 – mais un rideau qui s’ouvre verticalement. C’est rare et malgré le gain de distance à parcourir (24 mm au lieu de 36) ce n’est pas un foudre de guerre puisqu’il donne de 1/2 s à 1/250s et la pose B. De fait, c’est quand même déjà mieux que le 1/150s de l’ancien obturateur.

Fabriqué en alliage d’aluminium pour sa carrosserie et d’acier embouti pour le porte arrière, il reçoit quelques chromes et une espèce de « similicuir » en … papier enduit.

C’est un appareil qui abandonne ce que les photographes amateurs trouvaient compliqué sur les Exakta. C’est en tout cas comme ça que les publicités de l’époque présentaient elles-mêmes ce nouvel appareil.

Source : Casualphotophile
Source : Casualphotophile. Ici ils font encore plus fort, je vous livre la traduction : « L’heureux papa apparaîtra plus souvent dans l’album de famille, maintenant que maman a son propre appareil photo, le petit Exa […] Il est pas cher et simple d’utilisation. Parfait pour maman ! » « (Bon, d’accord, c’est sexiste mais c’est une pub des années cinquante, et je ne suis pas certain que le sexisme ait disparu des publicités modernes)

Les appareils Ihagee ont tous quelques singularités qui les rendent attachant ou énervant. Je vais essayer de les reprendre pour cet Exa II.

J’en ai déjà citée une, l’obturateur à rideau qui se déplace verticalement. L’idée est bonne puisque comme je le notais, la distance de déplacement est plus courte (24mm au lieu de 36mm). Oui mais cela suppose un mécanisme bien plus complexe et lorsqu’un des rideaux se met en rade, bon courage pour réparer.

Cet appareil n’est pas pourvu d’un miroir à retour instantané. En d’autres termes, lorsque vous appuyez sur le déclencheur, le miroir se relève, pour laisser passer la lumière et il reste relevé. Dès lors, vous ne voyez plus rien dans le viseur, sauf si vous faites avancer le film, auquel cas le miroir s’abaisse pour permettre la prochaine prise de vue. Cette étrangeté a au moins un avantage : si vous ne voyez rien dans le viseur, c’est que vous n’avez pas avancé le film. Par contre, elle a une incidence directe si vous oubliez l’appareil au soleil, sans bouchon d’objectif : le soleil risque de griller le rideau. Il faudra attendre 1965 et le Exa IIB pour recevoir un retour automatique.

La vitesse d’obturation ne gagnera jamais un concours de vitesse. Elle plafonne a 1/250s (heu … à la même époque, un Nikon atteignait largement le 1/1000s par exemple). Avec les films lents de l’époque, ce n’était pas aussi gênant qu’avec nos films plus rapides (vous pouvez oublier les 400 et 800Asa sauf à photographier peut être dans la nuit nordique).

Toujours au rayon des choses étranges, le déclencheur, à gauche. Si cela va ravir nos amis gauchers, il faut reconnaître que c’est inhabituel. D’autant qu’en plus ce déclencheur est en façade et non pas sur le capot.

Pourquoi ? Peut-être l’ingénieur responsable était-il gaucher ou alors c’est un souvenir des tous premiers Exakta en film 127 dont le film se déroulait de la droite vers la gauche, obligeant à l’inversion des commandes.

Si cela est déroutant au début, on tâtonne puis on s’habitue mais ce n’est pas très naturel. Autant le bouton des Praktica, qui est en façade, semble facile, autant celui-ci demande un peu d’entrainement (d’abord le trouver puis penser à l’enfoncer vers le corps).

L’utilisation d’un flash n’est pas non plus des plus simple : s’il y a bien une prise flash, en façade et sur la droite, il n’y a pas de griffe porte-accessoires. Il faut trouver un rail qui se fixe à la semelle et sur laquelle attacher le flash.

N’oublions pas le chargement de la pellicule, pas plus aisé que le reste. Pour ouvrir l’appareil, il faut descendre un verrou, sur la tranche gauche (boitier vu de dos). La porte arrière s’ouvre et la bobine … tombe !

Hé oui, elle est amovible et a la fâcheuse tendance à vouloir s’en aller à la moindre occasion (point à vérifier en cas d’achat : la bobine est bien là ?). Arrêtons-nous un autre instant sur celle-ci. Alors que vous avez réussi à la remettre à sa juste place, il va falloir y glisser l’amorce de votre pellicule et là, c’est pas gagné ! En effet, ici pas de fente dans la bobine mais deux feuilles métallique soudées dessus, avec juste assez d’espace pour y glisser non sans mal le bout de votre pellicule. Nerveux s’abstenir !

Sachez aussi que le compteur de vue ne se réinitialise pas. Vous devrez penser à la mettre à zéro vous-même en faisant tourner, grâce au minuscule bouton, le cadran noir sur le levier d’armement.

Le réglage des vitesses se fait avec la molette à gauche. Remarquez les deux indications en rouge, l’une sous forme d’éclair et l’autre d’ampoule. C’est pour le flash, vous avez trouvé. Le point rouge représentant la synchro flash placé en face de l’éclair correspond à 1/30s et, face à l’ampoule, à 1/15s ce qui laisse un peu plus de temps à l’ampoule au magnésium pour arriver à son éclairement maximum.

Le cadran au-dessus ne sert que d’aide mémoire pour le type de film utilisé.

Un mot sur les objectifs, quand même.

Source : Ihagee, le récapitulatif des objectifs.

Si vous désirez la liste complète et leurs caractéristiques, elles sont téléchargeables ICI.

Un mot d’abord de la baïonnette, conçue pour l’Exakta et utilisée sur tous les appareils ensuite, sauf les derniers, qui passent en monture à viser M42 (dernier sursaut pour garder des clients ?)

Un petit tenon sur l’objectif accroche le levier, sur la gauche, et verrouille l’objectif à la monture. Pour le libérer, il faut juste pousser sur celui-ci et tourner l’objectif dans l’autre sens.

Accrochez-vous, rien n’est jamais simple chez Ihagee …

Tout d’abord, il a existé trois générations d’objectifs à monture Exakta : les manuels, les préréglés et les automatiques.

Ce qui les différencie c’est la manière dont l’ouverture est définie.

Petit rappel : sur la plupart des reflex, quelle que soit la valeur f sélectionnée, l’ouverture reste grande ouverte pendant que vous effectuez la mise au point et la composition, vous offrant ainsi l’image du viseur la plus lumineuse possible. Lorsque vous appuyez sur le déclencheur, un mécanisme de couplage interne ferme instantanément l’ouverture jusqu’à la valeur f sélectionnée. Il s’agit d’une caractéristique tellement commune que nous n’y prêtons pratiquement aucune attention. Mais cela n’a pas toujours été le cas.

Les objectifs de la première génération (les manuels donc) demandent que vous effectuiez la mise au point et la composition à la plus grande ouverture, puis que vous reveniez jusqu’à l’ouverture souhaitée avec de déclencher. On est d’accord, ce n’est pas rapide et pas pratique car dans certains cas l’image peut être très sombre (selon la distance).

Avec les objectifs de la seconde génération (les préréglés), on gagne un anneau pour présélectionner le diaphragme, auquel cas l’ouverture reste grande ouverte. Ensuite, juste avant d’appuyer sur le déclencheur, vous tournez une seconde bague, fermant l’ouverture jusqu’au f-stop prédéfini. C’est déjà plus rapide et vous ne quittez pas le viseur des yeux pour la manœuvre. On progresse …

Viennent ensuite ceux de la troisième génération (les automatiques). Ils sont dotés d’un piston externe à ressort qui arrête l’ouverture au réglage sélectionné. Lorsque l’objectif est monté sur le boîtier, ce piston s’associe au déclencheur de l’appareil photo (et sert également de déclencheur). Une pression simultanée sur le piston arrête l’ouverture et libère l’obturateur. Ce n’est pas courant mais ça vaut bien les couplages internes des autres solutions.

Source : Casualphotophile. Les 3 générations d’objectifs : à gauche, manuel, à préselection au centre, et automatique à droite.

Franchement, ces appareils sont déjà bien assez compliqués comme ça, alors si vous en achetez un pour l’utiliser, prenez un objectif automatique (on les reconnait au gros piston sur le côté).

Ce n’est pas une question de prix (certains manuels ou à présélection coûtent des fortunes) mais de facilité d’utilisation.

Comme je l’écrivais plus avant, Ihagee n’a quasi pas produit d’objectifs, utilisant des producteurs tiers pour ce faire. Et il y eut une production assez importante d’objectifs pour la monture Exakta par des fabricants, essentiellement allemands, quelques français et même un japonais, notamment.

Citons, en vrac : Carl Zeiss Jena, Meyer-Optik, Schneider-Kreuznach et Steinheil; Pierre Angénieux et Taika.

On y trouve un peu de tout, de l’ultra grand-angle au téléobjectif, pour tous les prix (du classique et abordable Domiplan, au rare et (très) cher, comme un Angénieux chromé du plus bel effet).

Alors, si je dois résumer cet article, je dirais que cet Ihagee Exa II, sous ces dehors simples est en fait une masse d’expérimentations, pas toujours pratiques mais attachantes. Avoir eu en main, au moins une fois dans sa vie, un Ihagee, c’est une expérience.

Celle d’un temps révolu, certes, mais qui vous font entrer de plein pied dans l’Histoire merveilleuse de ces drôles de machines à faire des photos que des aventuriers ont pu créer, avant.

Il faut prendre le temps de l’apprivoiser puis celui de s’en servir.

On en trouve à presque tous les prix de nos jours, mais disons que pour un exemplaire en bon état (avec sa bobine, vérifiez) et au moins un objectif automatique, il ne devrait pas vous couter plus de 50€. Le pri

Quelques exemples de photos prises avec cet appareil LA.

Publicité d’époque :

Source : Mes appareils photos, publicité de Photo Expert, mai 1960.

Petite video d’illustration :

Des références : https://www.mes-appareils-photos.fr/Ihagee-Exa-II.htm, https://www.collection-appareils.fr/x/html/appareil-4980-Ihagee_Exa.html, https://fr.wikibooks.org/wiki/Photographie/Fabricants/Ihagee/Ihagee_Exa_II, https://www.collection-appareils.fr/x/html/appareil-11087-Ihagee_Exa%20II.html, http://www.appaphot.be/brands/ihagee/ihagee-exa-ii/, en français; https://casualphotophile.com/2022/07/13/ihagee-exa-camera-review/, http://camera-wiki.org/wiki/Exa_II, https://beyondtheaperture.com/2022/04/review-ihagee-exa-135-35mm-film-camera/, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Vintage_Ihagee_Exa_II_35mm_SLR_Film_Camera,_Made_In_Dresden,_East_Germany,_Produced_Between_1960_-_1963_(27498389575).jpg, https://cameracollector.net/ihagee-exa-iib/, http://ihagee.org/ (LA référence absolue), en anglais.

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