L’argentique est au goût (au coût ?) du jour

Est-ce parce que les appareils numériques ressemblent de plus en plus à des « usines à gaz », bardés de fonctions complexes et complexifiées par des menus souvent déroutant; parce que leur rendu, toujours plus « chirurgical » enlève une part de la magie à l’image révélée; parce que les prix « communément admis » frisent votre salaire mensuel; parce que les modèles se succèdent plus vite que votre capacité à emmagasiner leurs caractéristiques utiles; parce que ….?

Mille autres bonnes raisons peuvent nous entrainer à un retour vers l’argentique.

D’aucun diront que c’est par nostalgie. Certes, mais comment expliquer que des tout jeunes veulent s’y frotter, ils n’ont pas encore la mémoire d’une époque, ils ne l’ont pas connue ?

D’autres vous expliqueront des tas de raisons techniques qui ferait de l’argentique un meilleur serviteur de la photographie.

Et si nous parlions simplement de plaisir !

Celui de découvrir d’autres moyens d’accéder à l’image-photo, celui de se frotter à des appareils, connus ou moins connus mais qui sont de petites merveilles de mécaniques et qui donnent ce sentiment étrange de posséder un « bel » appareil.

Celui de (re)découvrir une certaine simplicité, qui démystifie finalement la prise de vue aux fondamentaux qui ont si bien réussi aux maîtres anciens et néanmoins précurseurs.

Celui, très sensuel, non seulement de toucher un bel objet mais aussi de « sentir » une matière vivante, qui se découvre petit à petit, du geste de photographier à celui de découvrir l’image latente se révéler.

Celui de découvrir des formats inhabituels, contraints que nous sommes à ne plus voir qu’aux normes étriquées que nous infligent les fabricants, cherchant toujours à plus de rationalité et de standardisation de leurs productions.

Pensez à ces appareils panoramiques pour voir la vie en large, aux chambres, pour voir la vie en grand, aux lilliputiens, pour se rêver l’espace d’un moment dans la peau de James Bond, aux étanches pour tutoyer les poisons et les sirènes, … pensez différemment !

Bref, toutes les raisons sont bonnes pour venir – ou revenir – à l’argentique.

Une des premières étant que des appareils photo argentiques il en existe des millions de part le monde, du plus simple au plus sophistiqué, du plus commun au plus rare.

Souvent oubliés dans des tiroirs, des caisses, plus ou moins à l’abri de la poussière, de l’humidité, rangé avec soin ou jetés pêle-mêle dans un fourbis, ils sont là qui attendent que quelqu’un vienne les rendre à la vie.

Il suffit souvent de presque rien pour les sortir de l’oubli.

Seulement voilà, de petits malins s’ingénient à monter la sauce pour tel ou tel boitier qui, s’il n’était pas mauvais au départ, ne demande pas pour autant qu’on les sacralise à présent (voir les Canon AE-1, les Minolta SRT-101, les Nikon F, les Contax RTS, les Pentax K1000, …)

Et les prix de flamber ! Certains pensant que si le prix est élevé c’est parce que l’appareil en vaut la chandelle.

Que nenni, c’est là le jeu des « influenceurs » et autres adeptes des bulles spéculatives, qui s’imaginent que tout ce qu’ils touchent va se transformer en or.

Non, non, nous sommes au pays des sels d’argent après tout ! Il faut refuser de jouer ce jeu dangereux des prix qui montent, qui montent …

Je l’ai souvent écris, quelques boitiers que je voyais en 2019 se vendre dans les 30€ (les Yashica Electro 35 p; ex.) se négocient en 2021 dans les 100€ et plus s’ils sont en version noire !

Vous connaissez ma croisade pour des appareils à 50€ maximum, avec un objectif (sauf cas particuliers).

Pourquoi cette somme « arbitraire » ?

Lorsque j’achète un boitier, bien souvent, il faut changer les mousses, vérifier que les piles n’ont pas coulé, retrouver des piles compatibles, vérifier que la cellule fonctionne toujours, changer les revêtements qui se laissent parfois aller, vérifier que tout déclenche, aux bonnes vitesses (il doit y avoir des différences entre un déclenchement à 2s et à 1/1000s), que les objectifs s’accrochent correctement et se décrochent facilement, plus les petits investissements des choses à changer, etc.

Rien de technique ni de compliqué en fait, mais qui demande du temps, qui demande de la patience et de la minutie pour ne pas faire pire que mieux (des traces de colle sur le dépoli p. ex.).

Et il ne faut jamais oublier que ces appareils ont un – voire des – passé(s) et que l’on peut rarement affirmer qu’à un moment ou un autre il ne vont pas tomber en panne car c’est de la mécanique, pour les plus anciens, de la mécanique et un peu d’électronique à partir des années septante, de la mécanique et des mini processeurs dès les années quatre-vingt et suivantes, beaucoup d’électronique et encore un peu de mécanique à l’aube des années 2000

Rien ne justifie les prix pratiqués de nos jours !

L’offre et la demande ? Laissez moi sourire : si vous vous souvenez de l’article « non mais faut arrêter …« , je citais quelque chiffres de production des appareils dont les prix décollent actuellement.

Pour mémoire : le Canon AE-1 fut produit à plus de 1.200.000 exemplaires; le Minolta SRT101, c’est 3.500.000; l’Olympus Mjiu, 5.000.000 exemplaires; … rares qu’ils disaient sur les sites de vente !

Si réellement vous voulez acheter des appareils rares – il en existe bien sûr – dites-vous aussi que ces appareils seront plus difficile à utiliser, à réparer, à faire évoluer (accessoires comme des objectifs difficiles à trouver) et là, oui, vous pourriez être amené à devoir faire chauffer votre portefeuille mais vous voulez quoi ? Utiliser un appareil photo ancien pour faire des photos ou pour garnir une étagère ou pire, pour spéculer ?

(Re)prenons le cas des Leica. Certes ils ont ouvert la voie vers un appareil léger et maniable mais les premiers exemplaires ne sont plus guère pratiques à utiliser même s’ils restent fonctionnels. Mais les prix sont fous si on considère ces appareils pour une pratique photographique.

Voyons le prix des Leica M, qui défient toute raison, au prétexte qu’ils sont toujours réparables – et ici je salue quand même la volonté de l’entreprise de garder vivant un patrimoine même très ancien – mais au delà de leurs qualités, ils ont 60 ans !

Comparez avec un Canon P : il est aussi performant et heureusement vraiment plus abordable, ensuite vous pouvez y monter toutes les optiques Ltm 39 possibles, même celles de chez Leitz.

Car finalement, c’est l’optique qui fait la qualité de la photo, le boitier n’est qu’une boîte noire, plus ou moins performante et sophistiquée.

Poussez le bouchon plus loin et achetez un télémétrique russe – c’est quand même eux qui en ont vendu le plus au monde ! – et vous pourrez aussi y monter les mêmes optiques en Ltm 39.

Ah, encore un mot : ils sont toujours réparables aussi, mais coûtent 1/100 du prix d’un Leica …

En résumé, si vous voulez (re)découvrir le monde de l’argentique, faites d’abord le tour de votre besoin (quelle type de photos voulez-vous faire, avez-vous l’âme bricoleuse, le poids est-il important pour vous, etc. ?).

A partir de ce moment, vous pouvez regarder vers quelques appareils et fouiner, fouiner pour trouver la meilleure offre.

Un exemple pour mieux comprendre mon propos ?

Vous aimeriez faire de la Street Photography mais la pratique du paysage, voire du portrait vous tenterait bien aussi ? Regardez vers un reflex, beaucoup plus polyvalent, sur lequel vous pourrez monter les objectifs qui correspondront à vos envies.

Lequel ? Si vous avez envie de vous frotter aux fondamentaux, les Praktica sont très bons mais à partir du MTL 3 (voyez ceux analysés sur le site), ou les premiers Minolta, voire Fujica. Nous sommes dans les années septante (fin soixante) pour la plupart. La monture en M42 vous ouvre un champ énorme d’objectifs dont certains de grande qualité car signés Zeiss.

Pour en revenir aux Praktica, leur prix est particulièrement abordable. Sachez encore que ces appareils ont fait le bonheur de milliers de photographes pendant près de 30 ans non sans raison.

Honnêtement, il n’y a que vous, en tant que consommateur, qui pourrez faire bouger les choses, en refusant les prix délirants que certains s’ingénient à nous présenter. Rappelez-vous que la plupart de ces appareils ont été fabriqué et vendu en quantité et qu’ils sont donc loin d’être aussi rares que certains le prétendent.

Un photographe averti en vaut (au moins) deux … faites-vous plaisir !

Enfin, n’oublions pas la partie « consommable », les films. Vous en trouverez sur de nombreux sites, chez quelques boutiques photographiques qui en vendent encore, quasi pour tous les goûts et envies, même s’il faut se rendre compte que les grandes marques qui restent actives, Fuji et Kodak, restreignent leur offre. N’ayez pas peur de vous tourner vers des solutions alternatives, qui offrent des choix différents. Lomography essaie aussi de proposer des films originaux et sortant de l’ordinaire, c’est à tenter.

Bien sûr il reste encore la solution des films périmés, pour autant que vous puissiez avoir la certitude qu’ils ont été correctement conservé (congélateur, frigo au pire). Ici il faut avoir l’esprit original et aimer les surprises, mais c’est un charme ajouté … ou un pari risqué. A vous de voir.

Ceci étant, une fois la pellicule exposée, il faut la développer. Le plus facile (?!) est de trouver un labo près de chez soi, qui s’acquittera de la tâche. Sinon, de grandes enseignes s’occupent encore de développement (Mediamarkt, Hema p. ex.) mais la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, leurs machines étant en « tout automatique » alors qu’avec un « petit » labo vous pouvez encore dialoguer pour des développements plus personnalisés.

Pour les plus entreprenants ou ceux qui y ont déjà goûté, il existe toujours la possibilité de développer soi-même. Ici, je vous avoue mes limites, je n’ai plus mis les pieds dans un labo depuis … 1988 !

Reste que le N/B est plus abordable si vous le faites vous-mêmes, les chimies étant moins « fragiles » que pour la couleur, mais c’est aussi question de la quantité de films à développer, la technique est la même.

Des accessoires utiles vous permettent même de le faire à la lumière du jour, pour ceux qui n’ont pas la possibilité d’installer un laboratoire à la maison. Prenons par exemple l’Ars-Imago Lab-Box, à moins que vous ne trouviez sur un site de vente en seconde main des Rondinax 35 ou 60. Ces « boites » vous permettent de mélanger les différentes chimies nécessaires au développement de vos films, facilement.

Chimies que vous trouverez chez le fabricant ou sur des sites comme Fotimpex ou Retrocamera.

A la question qui fâche, « est-ce écologique », la réponse est nuancée : vu la quantité que vous produirez, vous ne polluerez pas plus qu’une lessive ordinaire. Mais le débat est faux car lorsque vous tenez compte de la pollution engendrée par le numérique, vous sortez au mieux avec un ex æquo.

Si vous désirez tirer vous même vos photos, c’est une autre histoire, qui nécessite un minimum d’aménagements. Rien n’empêche de mixer le développement classique avec ensuite un tirage numérique (scanner, banc de reproduction, etc.), qui vous permettra, le cas échéant, de tirer vos photos avec une imprimante dédiée.

Ici je vous recommanderai quelques chouettes bouquins :

  • Les secrets des tirages alternatifs, Anaïs Carvalho Rémy Lapleige, éd. Eyrolles, ISBN 2212677898
  • Procédés de photographie alternative, Laura Blacklow Bernard Jolivalt (Traduction), éd. First, ISBN 2412056099
  • Les secrets de la photo argentique, Gildas Lepetit-Castel, éd. Eyrolles, ISBN 2212143931
  • Noir et blanc, Philippe Bachelier, éd. V.M., ISBN 221213827X

Voilà, j’espère vous avoir donné quelques pistes qui vous serviront et vous donneront envie de tenter l’argentique à prix contenu et supportable car, encore une fois, le maître mot de ces découvertes est « plaisir ».

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